Posté le 18 septembre 2015 - par Seydi Diamil
La modernisation des daara au Sénégal : la reproduction d’une politique colonialiste/ Seydi Diamil Niane
Nous vivons dans une période qui ne cesse d’être dominée par un mondialisme qui impose une uniformité au détriment de l’unité sous prétexte d’une universalité qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle façon de coloniser les pensées. Nous vivons dans un contexte où le Sénégal doit, de plus en plus, marcher vers l’indépendance totale, du point de vue économique, linguistique et académique (oui académique, comment pourrait-on expliquer le fait que l’école publique n’intègre pas dans ses programmes des cours de religion ? Le p ays ne compte-t-il pas au moyens 95% de musulmans ?). Nous vivons dans une période où la spiritualité perd de plus en plus de place (la tradition hindoue parle de Kali Yuga, l’âge sombre), ce qui autrefois était l’exception devient la norme. Et c’est exactement dans ce contexte où on aliène les hommes par l’éducation, que le Sénégal devrait proposer une alternative qui consiste à résister à l’aliénation intellectuelle, synonyme de l’envahissement de la pensée occidentale dont parlait René Guénon. En outre, si notre pays veut résister à cet envahissement, il y a deux choses à respecter : les daara et la Tradition (qu’elle soit orale ou écrite), après avoir appris à la jeunesse les bases de sa spiritualité.
Et au lieu d’offrir à la jeunesse la possibilité d’avoir une base spirituelle dans l’école publique, on nous parle d’une modernisation des écoles coraniques (daara), l’un des lieux où les jeunes ont la possibilité de s’abreuver des sciences sacrées à la lumières desquelles les actions devraient être pensées comme l’enseignaient nos guides religieux. Ceux qui aspirent à la modernisation des daara, ne savent-ils pas que la modernité a « tué Dieu » et que les daara guident les hommes vers Celui-ci ?
Décortiquons un peu la proposition des modernistes. L’article Ier du « Décret fixant les conditions d’ouverture et de contrôle des daara », signé par le président de la République, Maky Sall, prévoit que « toute personne qui ouvre un daara doit adresser une demande au ministre chargé de l’Éducation. Cette demande doit être assortie du visa du maire de la commune concernée ». Nous avons l’impression d’être en face d’une autre phrase selon laquelle « Nul ne pourra, à l’avenir, tenir une école musulmane sans être muni d’une autorisation en règle du Gouverneur, autorisation qui pourra être retirée si le titulaire en devient indigne. » Il s’agit de l’article Ier de « l’Arrêté portant réorganisation des écoles coraniques du Sénégal » signé par Faidherbe le 22 juin 1857[1]. Parmi les conditions d’ouverture des daara, le « décret fixant les conditions d’ouverture et de contrôle des daara » prévoit dans l’aliéna II de son deuxième article que celui qui souhaite ouvrir une école coranique doit présenter, entre autres papiers, « un certificat de bonne vie et mœurs datant de moins de trois mois », ainsi que « les photocopies légalisées des diplômes ou l’attestation d’aptitude à enseigner le Coran délivrée par l’inspecteur d’académie sur proposition de la commission prévue à l’article 11 de la loi portant statut du daara ». Qu’en aurait pensé notre cher Faidherbe ? On peut lire dans l’aliéna II du deuxième article de l’arrêté qu’il avait signé qu’il fallait, pour enseigner, « faire preuve du savoir nécessaire devant un jury d’examen », et qu’il fallait selon l’aliéna III du même article « obtenir un certificat de bonne vie et mœurs du maire de la ville. » Des similitudes entre les deux textes, il y a en a beaucoup, mais ces exemples devront suffire pour rendre compte de ce que nous voulons faire remarquer. C’est génial comment l’histoire se répète. Toutefois, nous tenons à saluer l’originalité du président Maky Sall qui, dans le premier aliéna de l’article II du « décret fixant les conditions d’ouverture et de contrôle des daara », impose, avec humour, que le candidat présente « une note introductive précisant le but éducatif et social du daara » ! Cher président, le but éducatif du daara c’est l’apprentissage du Saint-Coran J
Nous ne sommes pas en train de dire que tous les daara vont bien et qu’il ne faut rien faire. Loin de là. Aucune personne dotée de cœur et de raison ne peut se réjouir de croiser ces jeunes qui mendient matins et soirs pour survivre. Su ce point, nous ne pouvons qu’approuver l’article XVI du projet de loi qui dénonce la mendicité. Nous ne doutons pas, non plus, de la bonne foi de nos compatriotes qui veulent moderniser les daara « pour répondre à une demande d’édification d’un modèle unique de citoyenneté[2] ; sans distinction entre les enfants issus du système éducatif classique et ceux formés dans les daara et offrir à ces derniers des opportunités d’accès aux savoirs, notamment scientifiques, développés dans les programmes de l’école classique. » Certes, mais c’est l’esprit moderniste lui-même qui nous pose problème. L’esprit moderniste a rompu avec le ciel depuis qu’il a « tué Dieu ». Ainsi, faire appel à ce modernisme au service de la spiritualité nous semble même contradictoire. Ce que nous voulons dire, par là, est que les autorités auraient pu manœuvrer autrement que d’appliquer sur les écoles coraniques des procédés qui tirent leur source de la pensée occidentale. Encore pire est le fait de reproduire, à l’encontre des daara, la même politique que menait Faidherbe au milieu du XIXe siècle.
[1] Pour le texte de l’arrêté en question, cf., Elhadji Ravane Mbaye Le grand savant Elhadji Malick Sy ; pensée et action, Albouraq, 2003, pp.657-658.
[2] Nous voilà tombés dans le piège de l’uniformité
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