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Archiver pour octobre 2015


Posté le 19 octobre 2015 - par Seydi Diamil

Lettre ouverte d’un franco-sénégalais à Nadine Morano/ Seydi Diamil Niane

Présentation1 « La France est judéo-chrétienne et de race blanche », ai-je bien entendu ? Mme Morano, cette phrase est indigne d’une personne qui se dit vouloir représenter le peuple français. L’histoire de la France elle-même dément vos propos. J’y reviendrai.

En tant que personnalité politique, avez-vous dit, vous avez l’obligation d’agir avec la raison même si votre cœur peut aspirer à autre chose ? Ça tombe bien parce qu’en tant qu’universitaire, moi aussi, je me dois d’avoir une distance critique par rapport à moi-même, d’ignorer les aspirations de mon cœur, s’il le faut, pour faire une étude objective de l’objet de mon analyse. Et c’est ce que je vous propose en revenant sur vos déclarations ce week-end.
Avant d’entamer ma réflexion, je tiens à vous rappeler une chose : ces gens qui prennent les bateaux pour venir à l’Europe ont tout simplement le mauvais passeport et sont nés dans le mauvais pays. Tout citoyen français, et ça vous le savez très bien Madame, peut aller au Sénégal, au Maroc, et à beaucoup d’autres pays, quand il veut et sans avoir besoin d’un visas ni d’une quelconque autorisation de la part des autorités de son pays de destination. Arrêtez de crier « ils viennent, ils viennent » tout en essayant d’oublier les citoyens français qui partent chez les autres sans même leur demander leur avis parce qu’ils ont le bon passeport.
Madame la députée, même moi qui suis né dans un village, perdu quelque part au Sénégal, et qui ne compte que sept petites maisons (il s’agit de cases en vrai), je peux vous informer que c’est la station Total qui vend du carburant à des milliers de chauffeurs sénégalais. Mais peut-être vous ne voyez pas ces autres français qui partent et qui exploitent les autres populations. Vous ne voyez que ceux qui viennent. Charmant l’humanisme !
Parlant d’exploitation, je vous rappelle une phrase que vous avez prononcée lors de votre passage chez Laurent Ruquier : « vous ne souhaitez pas revenir au Franc français ». Et c’est là où vous vous séparez effectivement de Marine Lepen. Mais savez-vous que 14 pays africains utilisent encore le Franc CFA que leur avait imposé le pouvoir colonialiste ? (Franc CFA voulait dire franc des colonies françaises d’Afrique). Si Madame, vous le savez très bien. Vous savez aussi que ces 14 pays sont obligés par la France , à travers le pacte colonial , de mettre 50% de leurs réserves à la banque centrale de France sous le contrôle du ministère des finances français. (pour plus de précisions : http://www.mondialisation.ca/le-saviez-vous-14-pays-africains-contraints-par-la-france-a-payer-limpot-colonial-pour-les-avantages-de-lesclavage-et-de-la-colonisation/5369840; ou encore https://fr.wikipedia.org/wiki/Franc_CFA.) Cela fait des millions d’euros Madame qui n’appartiennent ni à la France ni au gouvernement que vous avez servi. Mais bon, tout cela vous importe peu.
Si je vous rappelle tout ça, bien que vous le sachiez déjà, c’est parce qu’effectivement il y a parmi « les réfugiés » des migrants économiques, venant notamment d’ l’Afrique de l’Ouest, qui tentent de fuir la misère, peut-être, avec l’espoir de récupérer les réserves qui leur appartiennent et qui se trouvent aujourd’hui sous le contrôle du ministère des finances. Et avant de revenir sur les réfugiés et sur votre fameuse phrase, gardez dans votre esprit que d’ici 30 ans, il y aura 2 milliards d’Africains sur cette planète, et la moitié de ces deux milliards aura moins de 18 ans. Et si vous ne les laissez pas tranquilles, de leur débarrasser du Franc CFA de la même façon que vous ne voulez plus du Franc français, croyez-moi Madame, il y aura là une vraie invasion de l’Europe.
Revenons à la problématique des réfugiés. Savez-vous que, selon les chiffres du Haut commissariat aux réfugiés, depuis 2011 la Turquie a accueilli plus de 1.900.000 syriens, et le Liban plus de 1.000.000 soit 25% de la population libanaise ? À côté de ces chiffres, savez-vous que les 477906 qui ont traversé la méditerranée représentent seulement 0.1% de la population européenne ? C’est ça que vous appelez un envahissement ?
Madame Morano, vous confondez tout. Comment avez-vous réussi à faire un lien entre le terrorisme et la migration ? Entre le voile intégral et Charlie Hebdo ? « J’avais vu une femme en voile intégral et quelques jours plus tard ça a éclaté à Charlie Hebdo », avez-vous dit ? Quel est le lien Madame ? Rassurez-moi que vous allez très bien. Sinon allez voir un médecin.  Promis, ça vous fera du bien ;)
Moi aussi je peux vous parler des centaines de Charlie Hebdo. Je ne vous parlerai ni de Sétif, ni du bombardement de Haiphong en décembre 1946, ni des massacres en Côte d’ivoire entre 1949 et 1950 (mais vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Yves Benot, Massacres coloniaux.). Non madame, je vais vous parler d’un petit fait divers que vous pourrez lire à la page 77 de l’ouvrage de Benot que je viens de citer : « Il s’agissait là de tirailleurs sénégalais libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés. Débarqués le 21 novembre à Dakar, ils avaient été rassemblés au camp de Thiaroy, à quelques kilomètres de la capitale. Mais ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on leur a refusé sous divers prétextes [...] C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 30, 60, ou plus ? En tout cas, encore un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes »
Si je vous fais part de cette petite histoire, ce n’est pas pour banaliser le drame qu’a connu Charlie Hebdo. Mais je tenais juste à vous dire que de la même façon qu’aucun descendant des tirailleurs ne fait d’amalgame entre le peuple français et l’armée qui a massacré leurs ancêtres, ayez cette même intelligence et arrêtez de perpétuer votre amalgame insupportable.
Encore pour vous en prendre aux musulmans, vous avez posé cette question à Yann. Moix : « savez-vous le nombre de personnes qui ont peur d’aller à la synagogue ? » Des chiffres Madame. On veut des chiffres. Et d’ailleurs, en tant qu’universitaire, je ne saurais supporter l’exploitation politique de la question juive, comme vous avez l’habitude de le faire, pour diviser les citoyens français. Madame, ceux qui ont le plus massacré les juifs ne sont pas des musulmans. Je ne vous apprends pas l’histoire. Et encore une fois en tant qu’universitaire, et ce n’est pas pour banaliser la souffrance du peuple juif, je me dois de rappeler certaines choses. Non il y a mieux : je vais donner la parole à un de mes maîtres, Aimé Césaire : « Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle, qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler et son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolis de l’Inde et les nègres d’Afrique. (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 2004, pp.13-14.) »
Revenons à la fameuse phrase. La France est judéo-chrétienne, dites vous ? Certes l’islam est une religion importée en France, je vous l’accorde. Mais qu’en est-il du christianisme ? Du Judaïsme ? Je viens de voir la carte d’identité de Jésus, et figurez-vous : IL N’EST PAS NÉ Â PARIS. Zut, Moïse non plus. Ni le Bouddha d’ailleurs. Conclusion ? Toutes les religions que vous avez mentionnées sont des pures importations. Je dis ça et je ne dis rien.
Mais ne soyez pas ingrate Madame. S’il y a une chose à laquelle peut s’identifier toute la nation c’est bien la langue française. Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a énormément de mots français qui viennent de la langue arabe. Exemples ? Café, sofa, limonade, gazelle, l’algèbre (et la science d’algèbre d’ailleurs), etc. Oups, j’allais oublier : quand vous prenez votre portable pour textoter ou votre ordinateur pour écrire un mail, n’oubliez pas que vous utilisez des chiffres arabes. Peut-être la race française est une race blanche, comme vous dites, mais cette belle langue que vous parlez, les chiffres que vous utilisez ont d’autres gènes dans leurs veines.
La France est de race blanche avez-vous dit ? Ne vous inquiétez pas Madame, je vous rassure, on a déjà entendu pire. Jules Ferry ne disait-il pas un (28 juillet 1885 ce qui suit ? « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures.  Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. »
Vous ne pouvez pas nous faire peur Madame, on a déjà connu et entendu pire. Mais je vous rappelle une chose : « Il n’y a pas en France dix familles qui puissent fournir la preuve d’une origine franque, et encore une telle preuve serait-elle essentiellement défectueuse, par suite de mille croissements inconnus qui peuvent déranger tous les systèmes des généalogies. »
Ce ne sont pas mes propos Madame Morano, ce sont les mots d’Ernest Renan (Qu’est qu’une nation ?, Mille et une nuits, 1997, p.15.). D’ailleurs pour lui : « Autant le principe des nations est juste et légitime, autant celui du droit primordial des races est étroit et plein de danger pour le véritable progrès. (p.19) » La raison est que, toujours selon Renan : « Il n y’a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère. Les plus nobles pays, toujours selon lui, l’Angleterre, la France, l’Italie (un avis que je ne partage évidement pas), sont ceux où le sang est le plus mêlé. (p.21) »
Pour conclure Madame la députée, je sais que vous tenez beaucoup à l’Europe et aux institutions européennes. Mais n’oubliez pas qu’aimer l’Europe c’est respecter, au moins, la Convention européenne des droits de l’Homme, y compris l’article IX  selon lequel : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (dont les musulmans) ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public (et oui Madame, le voile dans l’espace public est garanti par la Convention) ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »
Madame la candidate à la prochaine primaire des « Républicains » pour l’élection présidentielle, je sais que vous aimez la France et que vous voulez la servir. Mais n’oubliez pas qu’aimer la France c’est au moins respecter sa constitution dont l’article I stipule que :  « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion (alors pas de judéo-chrétien ni de race blanche :) ) Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »
Madame Morano, cette lette vous vient de la part d’un jeune universitaire musulman, qui a le même passeport que vous, la même carte d’identité que vous, qui parle la même langue que vous et vit dans le même pays que vous. Sauf qu’il y a un bémol : Il ne fait pas partie de la race blanche. Fait-il partie, malgré ça, de la communauté nationale ?
Sur ce, Madame Morano, je vous souhaite un bon éveil humain !

 


Posté le 10 octobre 2015 - par Seydi Diamil

Raison et supra-raison dans la pensée d’Al-Ghazali (m.1111)/ Seydi Diamil Niane

Raison et supra-raison dans la pensée d’Al-Ghazali (m.1111)/ Seydi Diamil Niane

« Tout ce que je sais, lui, il le voit », davoua Avicenne (XIe siècle) après avoir rencontré le soufi Abû Sa‘îd b. Abî Khayr. Cette phrase est significative dans la mesure où elle indique que toutes les sciences ne sont pas  au même degré. Avicenne était un médecin-philosophe qui se servait de la raison pour la quête des sciences normatives. Abû Sa‘îd était, quant à lui, un soufi qui dépassait la raison humaine grâce à la discipline spirituelle.

Cette phrase introductive fait allusion à deux facultés d’intelligences : la raison et la supra-raison. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons étudier cette dialectique, raison et supra-raison, chez un autre soufi : Ghazali (m.1111). De prime abord, nous verrons comment le doute de la raison peut amener à la certitude par la supra-raison. Dans un second temps, nous tenterons de voir comment l’expérience mystique est nécessaire pour se débarrasser des chaînes rationnelles et d’obtenir la liberté supra-rationnelle. L’ouvrage sur lequel nous nous apurerons est al-munqidh min al-ḍalâl (Erreur et délivrance) qui est une sorte d’autobiographie qu’Algazel avait écrite vers la fin de sa vie.

Le doute : l’élément déclencheur

Le doute peut mener à la certitude. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est bien le doute qui est à l’origine de la certitude de Ghazali. Après une longue méditation et un instant de réflexion sur le monde sensible, sur les cinq sens de l’homme, Ghazali remet tout en cause et commence à douter de ses facultés humaines.

Comment faire confiance à l’œil se demanda-t-il, alors qu’il voit le soleil presque plus petit qu’un dinar, au moment où il est beaucoup plus grand que la terre [1]? C’est ainsi que Ghazali opta pour faire confiance à la raison[2]. Mais il ne tarda pas à douter de cette dernière. Il se mit à poser les questions suivantes : « puis-je douter que les figures géométriques […] ont certainement les propriétés que je leur démontre ? Puis-je douter que deux est plus grand que trois ? Puis-je douter du principe de contradiction, par exemple, qui dit qu’une chose ne peut être une chose et son contraire à la fois ? »[3]  De la même façon, ce que je vois pendant le rêve n’étant qu’une imagination mentale, la vie n’est-elle pas aussi une imagination, ou bien une illusion, comparée à un autre état de vie[4] ? C’est ainsi que sont intervenus les sens pour se plaindre auprès de Ghazali :  « Nous te faisions percevoir les choses sous tel ou tel aspect, lui dirent-t-il, et n’eût été la faculté de la raison, tu n’aurais aucune manière de savoir qu’elles sont, en réalité, autrement ; alors comment peux-tu être certain qu’il n y a pas une faculté X qui pourrait parler contre la raison de la même façon que celle-ci a parlé contre nous ? Un ‘‘œil’’ supra-rationnel qui te fera voir la fausseté de ‘‘dix est plus grand que trois’’… ? »[5]

De cette manière, Ghazali douta de la raison, tout comme il douta également des sciences rationnelles et mathématiques dans la mesure où celles-ci ne dépassent ni la raison ni le monde des formes. Cela est la raison pour laquelle nous pensons que toute comparaison entre Descartes et Ghazali nous semble problématique. Là où Ghazali doute de la raison, Descartes met celle-ci au sommet de la hiérarchie des facultés humaines. L’autre différence entre Ghazali est le père de la modernité française est que ce dernier, en mettant la raison au sommet de l’intelligence humaine, nie par là la supra-raison . D’ailleurs, Descartes était un philosophe rationaliste . Et comme l’écrivait René Guénon, « Le rationalisme sous toutes ses formes se définit essentiellement par la croyance à la suprématie de la raison, proclamée comme un véritable « dogme », et impliquant la négation de tout ce qui est d’ordre supra-individuel, notamment de l’intuition intellectuelle pure, ce qui entraîne logiquement l’exclusion de toute connaissance métaphysique véritable ; la même négation a aussi pour conséquence, dans un autre ordre, le rejet de toute autorité spirituelle, celle-ci étant nécessairement de source « supra-humaine »…[6]

Pour une comparaison plus pertinente, il faudra peut-être faire appel à Kant dont la Critique de la raison pure, comme le souligne Mouhammed Iqbal, « révélait les limites de la raison humaine et réduisait en cendre toute l’œuvre des rationalistes. [7]» Cependant, il faut le dire, « il existe néanmoins une différence importante entre Ghazali et Kant. Kant, d’accord avec ses principes, ne pouvait affirmer la possibilité de la connaissance de Dieu. Ghazali, toujours selon Iqbal, désespérant de la pensée analytique s’adressa à l’expérience mystique et y trouva au point de vue religieux un contenu se suffisant à lui-même. »[8]

Ce doute du soi a causé chez Ghazali une crise spirituelle pendant laquelle il ne pouvait plus prononcer ne serait-ce qu’un mot.[9] Cette crise d’Algazel nous fait penser à celle de Nietzche, lequel était pris en Europe pour un fou. Cependant, pour celui qui sait percer les âmes, nous parlons du soufi, il faut voir dans cette crise quelque chose de plus complexe qu’une simple folie. Nietzche « était ivre de Dieu, dit Muhammed Iqbal, on le prit pour un fou ! Les intellectuels ne connaissent rien à l’amour et à l’ivresse […] malheur à l’homme ivre de Dieu qui naît en Europe. » [10] En revanche, là où Nietzche devait mourir avec son ivresse, Ghazali a pu apaiser sa soif de certitude grâce à la voie soufie qui l’a permis d’aller au-delà de la raison et de réveiller sa faculté supra-rationnelle.

La supra-raison et l’expérience mystique

Aucune science rationnelle n’a pu apaiser la soif de certitude qui faisait souffrir  Ghazali. Il a été guéri, comme il le dit lui-même, grâce à une lumière que Dieu a fait descendre dans son cœur.[11] Cette lumière n’est rien d’autre que le soufisme que Ghazali a pratiqué après avoir été persuadé de l’insuffisance de toutes les autres sciences. Le soufisme, dit-il, permet à l’homme de purifier son cœur et de le consacrer seulement à Dieu.[12] Cette science, constata-t-il, est une science gustative et non pas d’ordre rationnel.[13]

C’est en étant persuadé du fait que seule cette science pouvait le ramener à une certitude, qui ne laisse pas de place au doute, que Ghazali a commencé à mener une vie d’ascète, comme le faisaient les soufis pionniers. Il partit au Levant, à Jérusalem et à Hijaz pour pratiquer la discipline spirituelle, en s’isolant, en faisant des retraits spirituels et en pratiquant le souvenir de Dieu,  dhikr.

C’est de cette expérience mystique que Ghazali a déclenché sa faculté supra-rationnelle et a trouvé la certitude. Il le dit lui-même : « Pendant environ dix ans, j’ai fait des  retraits spirituels durant lesquels m’ont été dévoilées beaucoup de choses. Tout ce que je pourrais en dire, et qui pourrait être utile, est que j’ai eu l’intime certitude que les soufis sont ceux qui, d’une manière précise, cheminent de la meilleure façon sur la voie d’Allah, leur cheminement est le plus excellent, leur voie est la meilleure et leurs caractères sont les plus purs. »[14]

Que s’est-il passé pour que Ghazali puisse être si sûr de ce qu’il dit ? Qu’est-ce qui a fait dissiper ses doutes qui lui avaient causé la crise qui a bouleversé sa vie ? C’est le goût spirituel qui est d’ordre supra-rationnel ; il a eu droit à l’expérience mystique des soufis dont les « actes, qu’ils soient ésotériques ou exotériques, tirent leurs sources du tabernacle de la lumière prophétique au dessus de laquelle il n y a point de lumière ».[15]

C’est en réveillant la faculté supra-rationnelle, dit Ghazali, que commencent « les dévoilements et les contemplations, à point que, même à l’état de vieille, les soufis contemplent les anges, les esprits des prophètes, desquels ils peuvent entendre des paroles et tirer des lumières. Ensuite, leurs états spirituels s’élèvent jusqu’à ce qu’ils aperçoivent des images et symboles que tout mot sera impuissant à décrire ».[16]

C’est en ayant la certitude par le goût spirituel, alors par la supra-raison, que Ghazali s’est permis de dire que « celui à qui, une faculté gustative n’a pas été accordée ne connaît de la réalité prophétique si ce n’est le nom.[17] »

Conclusion

Pour atteindre la certitude supra-rationnelle, Ghazali voit qu’il est nécessaire de cheminer sur la voie spirituelle afin que les lumières divines puissent briller dans le cœur de l’homme.

Avec la supra-raison, Ghazali montre que les sciences normatives et rationnelles ne peuvent en aucun cas libérer l’homme, lequel, métaphysiquement, a des facultés supra-rationnelles enfouies dans sa nature même. Mais il faut une discipline spirituelle pour en être conscient.

Avant d’en finir avec cette présente étude, souvenons-nous que Ghazali doutait de la véracité du principe de contradiction selon lequel, une chose ne peut être en même temps une chose et son contraire ; autrement dit, oui et non ne peuvent jamais se réunir, c’est soit oui, soit non. Ce principe, bien qu’il soit logique, est d’ordre purement rationnel. Dans l’ordre supra-rationnel, la logique binaire, ‘‘oui ou non’’, disparaît et laisse place au paradoxe spirituel, ‘‘oui et non’’. « Entre le oui et le non, disait Ibn ‘Arabî, les esprits prennent leur envol et les nuques se détachent. » [18]

 

 


[1] Ghazali, Al-Munqidh min al-ḍalâl, Beyrouth, Al-maktaba al-ša‘biyya, s.d., p.29.

[2] Ibid.

[3] Soulemane Bachir Diagne, Comment philosopher en islam ? Edition Philippe Rey / Jimsaan, 2014, pp. 65-66.

[4] Ghazali, op.cit., p.30.

[5] Souleymane Bachir Diagne, op.cit., p.66.

[6] René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Paris, Gallimard, 1972, p.92.

[7] Mouhammed Iqbal, Reconstruire la pensée religieuse de l’islam, Monaco, Éditions du Rocher, 1996, p.5.

[8] Ibid.

[9] Ghazali, op.cit., p.73.

[10] Éric Geoffroy, L’islam sera spirituel ou ne sera plus, Paris, Seuil, 2009, p.160.

[11] Ghazali, op.cit., p.31.

[12] Ibid., p.68.

[13] Ibid.

[14] Ibid., p.75.

[15] Ibid.

[16] Ibid., p.76.

[17] Ibid.

[18] Cité par Éric Geoffroy, op.cit., p.83.


Posté le 9 octobre 2015 - par Seydi Diamil

Le 23 février 2015, un SDF m’a appris la vie / Seydi Diamil Niane

Le 23 février 2015, un SDF m’a appris la vie / Seydi Diamil Niane

Après cette rencontre, je ne regarderai plus les sdf de la même façon. Oui, je vous le dis, après cette rencontre, je me méfierai d’utiliser le mot « fou » pour décrire ces humains que les hommes prennent pour des fous sans même se rendre compte de leur folie humaine.

Il était environs 14h30, alors que j’étais en train de prendre un café à l’un des distributeurs de boissons de la fac, soudain, un vieux est venu vers moi. Il avait l’âge de mon grand-père. C’était était un sdf que des gens avaient l’habitude de prendre pour un fou. Le vieux me dit :

-Veux-tu me payer un café mon fils?

- Bien-sûr, lui ais-je répondu. Puis il me dit:

- Tu fais quoi comme étude? tu t’intéresses à  quoi? Et moi de lui répondre:

- Je fais des études arabes et islamologiques. En fait je travaille sur le soufisme.

Whaw intréssant me répliqua-t-il.

Puis on s’est mis à discuter pendant une heure et demi. On a parlé de religions, de Dieu, de l’Homme, du respect, de l’Amour et de la paix. Bref on a dit beaucoup de choses. Mais il y a trois phrases qui ne m’ont pas laissé indifférent:

1) Il m’a dit: Tu es musulman? Si tu crois en Dieu, sois bon avec les êtres humains. Dieu n’a pas besoin que tu Lui dises Salam aleykum tous les jours, Il n’a même pas besoin de toi. Contrairement aux hommes.

2) Il m’a dit: Même si tes parents « te font chier », sois bien avec eux, puisqu’il était une fois, ce fut toi qui les « faisais chier » et ils t’ont toujours aimé. (Lors qu’il m’a dit ça, je me souviens que ma petite larme était beaucoup plus forte que moi, et je me suis rendu compte que le Verbe était vraiment puissant. Oui je me suis rendu compte qu’au commencement était le Verbe)

3) Il me dit:  Si on veut vivre en paix, malgrè nos différences, il faut que chacun connaisse l’autre, son histoire et ses sensibilités. Sinon on ne peut pas vivre en paix.

Après notre longue discussion, je me souviens de m’avoir dit:

1) Mais punaise, qu’est qu’il est humain cet homme que l’on prend pour un fou.

2) Ma foi, qu’est qu’on est fou, nous qui le prenons pour un fou.

3) Je me souviens de m’avoir dit: louange à Celui qui, ce lundi 23 février 2015 vers 14h30, m’a poussé à aller prendre un café à l’un des  distributeurs de boissons de la fac.

Voilà mon histoire avec cet homme, moi le fou qui prennais ce  sage pour un fou, sans pour autant me rendre compte de ma folie humaine. Maintenant je m’en suis rendu compte.

Au-dela de cette histoire, le vieux m’a appris le sens de l’humanisme, le respect dans la diversité. Et je rêve d’un jour où l’humanité comprendra que l’unité n’est pas dans l’uniformité, mais plutôt dans le respect des particularités.

 

 


Posté le 7 octobre 2015 - par Seydi Diamil

مِنْ شَطحاتِ عَاشِقٍ مجنون

مِنْ شَطحاتِ عَاشِقٍ مجنون
فَمِتُّ وَفِي مَوْتِي حَيَاتِي وَ بَهْجَتِي
  عَطُوفٍ رَحِيمٍ وَهْوَ سِرُّ سَرِيرَتِي
  غَرَامِي يَفُوقُ الْحُبَّ مِنْ أَيِّ وِجْهَةٍ
  وَيَا مَنْبَعَ الأَنْوَارِ كُلِّي وَجُمْلَتِي
  فَإِنِّي لَفَانٍ فِيكُمُ دُونَ رَيْبَةٍ
  شَرَابِي وَقُوتِي فِي صَبَاحِي وَلَيْلَتِي
  غَرَامِي لَكُمْ قَدْ صَارَ أَكْبَرَ ضَرَّتِي
  وَلَا أَلِفَتْ عَيْنَايَ لَوْنَ الْمَوَدَّةِ
  وَلَا دِينَ لِي إِلاَّ سَبِيلَ المَحَبَّةِ
  فَأَصْبَحْتُ سَكْرَانَ بِخَمْرِ الصَّبَابَةِ
  أَبِالْاِسْم؟ِ بِالْإِمْدَادِ؟ أَوْحُسْنِ نِسْبَةِ؟
  وَوَالِدُكُمْ لَيْثٌ قَوِيُّ الفِرَاسَةِ
  وَإِنْ كَانَ بِالْأَسْرَارِ أَنْتَ سَرِيرَتِي
  وَإْرْشَادِ جُهَّالٍ وَ إِيقَاظِ غَفْلَةٍ
  فَهَاكُمْ فُؤَادِي ثُمَّ رُوحِي يُدَيَّتِي
  فَهَلْ يَغْفِرُ الرَّحْمَنُ ذَنْبِي بِتَوْبَةٍ؟
  وَإِنَّكَ عَصْرٌ كُلُّهُمْ كَدَقِيقَةٍ
  وَإِنَّكَ قَرْنٌ وَالرِّجَالُ كَطَرْفَةٍ
  وَمَا عِشْقُ حَلاَّجٍ جُنَيْدٌ بِحِكْمَةٍ
  بِجَانِبِكُمْ إِلَاّ كَطَلٍّ بِلَيْلَةٍ
  وَ إِلَاّ فَمَا بِالْعَيْشِ دُونَ الْحَقِيقَةِ؟
  هُوَ الْمَدَدُ الْحَقُّ فَنَوِّرْ بَصِيرَتِي
  فَهَلْ تَرْضَ مِنْ اِبْنٍ يَفِرُّ بِدُنْيَةٍ؟
  جَزَاكُمْ إِلَهِي خَيْرَ دُنْيًا وَ أُخْرَةٍ
  وَ أَنْتُمْ إِمَامِي سَيِّدِي وَ حَقِيقَتِي
 
 
  عَشِقتُ وَ إِنَّ العِشْقَ لِلصَّبِّ قَاتِلٌ
  صَبَوْتُ إِلَى شَيْخٍ مُرِبٍّ وَ مُرْشِدٍ
  أَمَجْنُونَ لَيْلَى مَهْ فَلَسْتَ بِعَاشِقٍ
  فَيَا مُصْطَفَى يَا قُرَّةَ العَيْنِ سَيِّدِي
  أَيَا شَمْسَ تَبْرِيزِي جُنَيْدِي وَحَاتِمِي
  فَمَدْحِي لَكُمْ مَدْحِي لِنَفْسِي فَإِنَّكُمْ
  فَصِرْتُ غَيُورًا مِنْ جَنَانِي وَ حُبِّهِ
  فَلَوْلَاكَ مَا ذُقْتُ الغَرَامَ وَلَا الهَوَى
  خُلِقْتُ لِأَهْوَاكُمْ خُلِقْنَا لِبَعْضِنَا
  شَرِبْتُ كُحُولَ العِشْقِ مِنْ فَيْضِ قَاتِلِي
  أَلَا أَخْبِرُونِي كَيْفَ يُعْرَفُ سَيِّدٌ
  سَمِيُّكُمُ الآسِي مُمِدُّكُمُ الخَتْمُ
  إِذَا المَجْدُ بِالْعِلْمِ فَأَنْتَ إِمَامُهُمْ
  وَلَوْ كَانَ بِالتَّقْوَى وَحُسْنِ عِبَادَةٍ
  يُرَى الشَّرَفُ الأَعْلَى فَأَنْتَ شَرِيفُهُمْ
  إِذَا مَرَّ يَوْمٌ دُونَ عِشْقِكَ سَيِّدِي
  فَإِنَّكَ بَحْرٌ وَالرِّجَالُ سَوَاحِلٌ
  فَإِنَّكَ دَهْرٌ وَالشُّيُوخُ كَسَاعَةٍ
  فَمَا عِلْمُ ذِي النُّونِ جَوَادُ ابْنِ أَدْهَمٍ
  تَوَكُّلُ خَوَّاصٍ وَمَا جُودُ حَاتِمٍ
  فَإِمَّا مَدَدْتَ الْعَبْدَ طَابَ بَقَائُهُ
  وَأَيْسَرُ مَافِي كَفِّكُمْ يَا حَبِيبَنَا
  أَيَا وَالِدِي فِي الدِّينِ وَالْعِلْمِ وَالتُّقَى
  رَضِيْتُ بِكُمْ شَيْخًا حَبِيبًا وَصَاحِبًا
  فَأنْتُمْ شَرِيعَتِي وَأَنْتُمْ طَرِيقَتِي
 
 

بِقِلَمِ سَيْدِ جَمِيلْ انْيَانْ بِاسْترَاسْبُورْغ تاريخ 11 يوليو 2015



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