Posté le 2 décembre 2015 - par Seydi Diamil
Manifeste pour l’Humanisme. Lettre ouverte à tout le monde et à personne / Seydi Diamil Niane
Cette lettre je l’adresse à tout le monde et à personne ; je m’adresse à l’humain où qu’il se trouve. Dans ce monde de chaos, dans ce contexte dominé par une matérialisation abusive, où l’égoïsme ne cesse de tuer l’humain, j’ai besoin de tendre la main à l’homme.
S’il y a une personne qui doit se révolter contre tous, c’est bien moi. J’ai subi des siècles d’esclavagisme et de colonisation. Tout le monde sait qu’à Atlanta « on coupait la main droite du Noir qui apprenait à écrire. »[1] Mais « vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ? »[2] Certainement pas, parce que je refuse d’être « esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères. »[3]
Moi l’amoureux d’Aimé Césaire et qui suis issu du pays de Senghor et de Cheikh Anta Diop, moi qui me noie dans les mots de Fanon et dans le verbe de Cheikh Hamidou Kane, d’Abd Al Malik et de Fatou Diom, j’ai eu droit à des phrases telles que celles d’un certain Calhun qui disait que « s’il pouvait trouver un Noir capable de comprendre la syntaxe grecque, il le considérerait comme un être humain.» [4]Ou encore : « il ne faut pas oublier que l’esclavage n’a rien de plus anormal que la domestication du cheval ou du bœuf. » Cette dernière phrase est signé Lapouge.[5]
J’ai aussi eu droit à des propos charmants d’Ernest Renan (et oui Renan ne fut pas uniquement humaniste) tels que : « Nous aspirons, non pas à l’égalité, mais à la domination. Le pays de race étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journalier agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s’agit pas de supprimer les inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d’en faire loi. »[6]
Ou encore : « La régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours, chez nous, un noble déclassé, sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état. Regare imperio populos, voilà notre vocation. Versez cette dévorante activité sur des pays qui, comme la Chine, appellent la conquête étrangère. […] La nature a fait une race d’ouvriers, c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-là avec justice, en prélevant d’elle, pour le bienfait d’un tel gouvernement, un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre ; soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. […] Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien. »[7]
Certes ces propos d’Ernest Renan sont indéfendables, cependant, « vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans les âmes ? »[8] Certainement pas, parce que « je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. »[9] Et voilà tout ce que je demande à mes amis Français : de la même façon que je me bats matins et soirs pour que vous ne vous sentiez pas coupables d’un passé dont vous n’êtes pas responsables, arrêtez de faire l’amalgame entre moi et ceux qui tuent au nom de ma religion. Je pense que nous pourrions nous retrouver dans un autre paragraphe de Renan : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »[10]
Cette lettre je l’adresse à tous les enfants de la terre qui, par delà leur religion, se soucient du sort des opprimés. Je lance un appel à tous les enfants de la terre pour une lutte humaniste pour que cesse l’exploitation de l’Afrique, pour le droit des Palestiniens, des chrétiens d’Orient, des musulmans de Centrafrique, des Rohingyas, et de tous les opprimés. Certes je suis musulman de confession, franco-sénégalais de nationalité et noir de peau ; mais si je lance cet appel c’est que, comme le disait le juif égyptien Chehata Haroun, je crois que « Chaque être humain a plusieurs identités. Je suis un être humain. Je suis égyptien lorsque les Égyptiens sont opprimés. Je suis noir lorsque les Noirs sont opprimés. Je suis juif lorsque les juifs sont opprimés et je suis palestinien lorsque les Palestiniens sont opprimés. »[11]
Si je lance cet appel à tous les enfants de la terre, c’est parce que, comme Fanon, moi aussi je ne veux qu’une seule chose : « Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve. »[12]
Si j’écris cette lettre ouverte à tout le monde et à personne, c’est parce qu’en tant que croyant, je pense que la religion a son mot à dire quant à la construction de l’homme. Et par conséquent, on doit la respecter. Le voile, la kippa et la croix peuvent être sources d’épanouissement spirituel, moral et humain que l’homme lambda qui n’a aucune idée du ressenti des croyants peut ne pas saisir. Mais je dis avec Abd Al Malick que « Sous le voile de cette Musulmane peut se cacher un être libre transi d’amour et de respect pour la République. Mais que dit le regard sous l’emprise d’une forme de peur médiatique ? Sous sa kippa, peut-être un être totalement épris de justice. Mais que dit le regard sous l’emprise d’une forme de mode médiatique ? Porter le changement comme un fardeau sur son propre chemin de croix. Et se dire que c’est pas possible parce que c’est ce que le regard de l’autre nous renvoie. Alors, on se réveille chaque lendemain de ce qu’est notre existence. En ayant la conviction toujours un peu plus profonde qu’on ne mérite pas de reconnaissance… »[13]
Je lance un appel à tous les enfants de la terre parce que nous avons beaucoup de chose à faire ensemble. Nous avons la charge de ce monde, et pour ce qui est de l’Au-delà, on en parlera dans l’Au-delà : « Ce monde commun, comme le décrit Edwy Plenel, qu’il nous revient de construire tous ensemble, et non pas de détruire en sombrant dans la guerre de tous contre tous. Ce monde si fragile et si incertain dont les divinités secrètes se nomment la beauté et la bonté. C’est en leur nom qu’il faut dire non à l’ombre qui approche… »[14]
Pour conclure cette lettre ouverte à tous et à personne, je m’associe à Amadou Hampâté Bà pour faire l’appel suivant : « Mes frères et sœurs, apprenons à nous aimer mutuellement et à nous entraider constamment, afin que l’Amour nous mette sur le chemin de la Charité qui mène à la Vérité. » [15]
[1] Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Seuil, 1980 (reéd), p.345.
[2] Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p.186.
[3] Ibid.
[4] Vincent Monteil, op.cit., p.345.
[5] Cité par Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 2004, p.33.
[6] Ibid., p.15.
[7] Ibid., pp.15-16.
[8] Frantz Fanon, op.cit., p.186.
[9] Ibid., p.185.
[10] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, Éditions Mille et une nuits, 1997, p.34.
[11] Cité par Alain Gresh, Israël, Palestine : Vérités sur un conflit, Paris, Fayard, 2001, p.58.
[12] Frantz Fanon, op.cit., p.187.
[13] Abd Al Malik, Le dernier français, Paris, Cherche midi, 2012, p.100.
[14] Edwy Plenel, Pour les musulmans, Paris, La Découverte, 2014, p.129.
[15] Amadou Hampâté Bà, Jésus vu par un musulman, Stock, 2000 (reéd), p.59.
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