Archiver pour septembre 2016
Posté le 1 septembre 2016 - par Seydi Diamil
Réponse d’un ex-colonisé à François Fillon/ Seydi Diamil Niane
Je suis un ex-colonisé et croyais que l’époque, où Aimé Césaire tenait les propos suivants, était révolue : « J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées ».
Mais hélas, il ne fallait pas compter sur François Fillon.
On savait que les musulmans allaient souffrir des campagnes présidentielles. Mais je ne pensais pas que le populisme de la droite, qui passe son temps à draguer les électeurs du FN, pouvait mener en 2016, après la déclaration affligeante de l’inculte Sarkozy, selon lequel « l’Afrique n’est pas assez entrée dans l’Histoire », à un autre négationnisme lorsqu’il s’agit d’aborder la question coloniale.
Le 28 aout 2016, à Sablé-sur-Sarthe, sous les applaudissements de son public, Fillon s’est écrié : « Non, La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord ! ». Son programme ? Une fois élu président, l’ex-Premier ministre de la Sarkozie veut réécrire une autre histoire de la France qui sera enseignée à l’école. Un récit national inventé au détriment de toute vérité historique, pour tout dire.
Je ne parlerai ni d’Asie, ni d’Amérique du Nord. Mon incompétence en la matière ne me le permet pas. Je resterai donc sur la question africaine que je connais mieux.
Si la France n’a pas à avoir honte de son passé colonial (qui est en soi indéfendable tout comme l’esclavagisme, qu’il soit arabe, européen ou entre Africains), c’est parce que Fillon a une explication : « La France », dit-il, « c’est 15 siècles d’histoire depuis le baptême de Clovis », le 25 décembre 498. Faut-il lui rappeler que la création de l’Empire de Ghana remonte, au plus tard, à l’an 300 et que cet empire continuera à sillonner jusqu’en 1240 ? Et pour le bonheur des racistes, rappelons que Charlemagne ne sera couronné par le pape Léon III qu’en 800.
Par conséquent, lorsque les lumières de l’Afrique rayonnaient, j’en connais quelques-uns qui étaient plongés dans les ténèbres de la barbarie. Je ne parlerai même pas de l’Égypte antique, berceau de toutes les civilisations, où « la chaleur », affirmait Hérodote, « y rend les hommes noirs [1] ». Je dis ça et je ne dis rien.
L’Afrique n’est pas uniquement une vielle civilisation des cieux de laquelle pleuvait une culture séduisante. Ma terre natale a aussi connu une richesse extraordinaire. Vers 903, Ibn al-Faqih (un auteur arabe) nous disait que « Dans le pays de Ghana, l’or croît dans les sables, comme des carottes ; on les récolte au lever du soleil.[2] ». Au quatorzième siècle, Ibn Batouta, après avoir visité Gao (l’empire du Mali), nous a laissé la description d’une mosquée construite sur l’ordre de Kankan Moussa. Es-Sahili, le constructeur de la mosquée, ayant reçu une rémunération de 4 000 mithqal (soit 180 kilos d’or). Voilà l’Afrique avant l’entreprise coloniale.
Pour Fillon, l’objet de la colonisation était le partage de la culture française. Nous avons affaire à la vielle théorie de la mission civilisatrice. « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation». Ces propos ont été tenus par Jules Ferry le 28 juillet 1885. C’est uniquement ce sentiment de supériorité qui a légitimé la colonisation.
Ernest Renan, un raciste que tout le monde prend pour humaniste, nous donne les clés pour mieux aborder la problématique de la colonisation : « Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours chez nous un noble déclassé; sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état. Regere imperio populos, voilà notre vocation. Versez cette dévorante activité sur des pays qui, comme la Chine, appellent la conquête étrangère. Des aventuriers qui troublent la société européenne faites un ver sacrum, un essaim comme ceux des Francs, des Lombards, des Normands ; chacun sera dans son rôle. La nature a fait une race d’ouvriers; c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur; gouvernez-la avec justice, en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre; soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Réduisez cette noble race à travailler dans l’ergastule comme des nègres et des Chinois, elle se révolte. Tout révolté est chez nous, plus ou moins, un soldat qui a manqué sa vocation, un être fait pour la vie héroïque, et que vous appliquez à une besogne contraire à sa race, mauvais ouvrier, trop bon soldat. Or la vie qui révolte nos travailleurs rendrait heureux un Chinois, un fellah, êtres qui ne sont nullement militaires. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien [1] ».
Le seul motif de la colonisation est ce sentiment de supériorité qui sera animé par une autre logique dont parle Renan, tout de suite après ses propos racistes que nous venons de transcrire : « Les économistes se trompent en considérant le travail comme l’origine de la propriété. L’origine de la propriété, c’est la conquête et la garantie donnée par le conquérant aux fruits du travail autour de lui». Et puisque la conquête est à l’origine de la propriété, quoi de plus anormal que l’Afrique soit sous-développée après l’entreprise coloniale ?
Jean-Paul Sartre dénonçait déjà cette exploitation : « Vous savez très bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que nous avons pris l’or et les métaux puis le pétrole des « continents neufs » et que nous les avons ramenés dans des vielles métropoles. Non sans d’excellents résultats : des palais, des cathédrales, des capitales industrielles ; et puis quand la crise menaçait, les marchés coloniaux étaient là pour l’amortir ou la détourner. L’Europe, gavée de richesses, accorda de jure l’humanité à tous ses habitants : un homme, chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de l’exploitation coloniale [1] ».
Dans cette conquête coloniale, qui n’a rien à voir avec une volonté de partager une culture, tous les moyens étaient bons. S’il faut déshumaniser les indigènes, il ne faut pas hésiter. « Du moment que nous avons admis cette grande violence qu’est la conquête, je crois que nous ne devons pas reculer devant des violences de détail qui sont absolument nécessaires pour la consolider. » Ces propos ne sont pas sortis de la bouche d’Hitler mais de celle de Tocqueville [2] !
Les « violences de détail » dont parle Tocqueville ne sont rien d’autre que des massacres comme Sétif, le bombardement de Haiphong en décembre 1946, les massacres en Côte d’Ivoire entre 1949 et 1950 ou l’assassinat des Tirailleurs Sénégalais à Thiaroye, en 1944. C’est justement dans le cadre de ces « violences de détail » que le colonel de Montagne qui fut un des conquérants de l’Algérie a avoué la chose suivante : « Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes[3] ». Un autre détail était dénoncé par Jean-Paul Sartre en 1961 : « Où sont les sauvages, à présent ? Où est la barbarie ? Rien ne manque, pas même le tam-tam : les klaxons rythment « Algérie française » pendant que les Européens font brûler vifs des Musulmans.[4] ». Quelle charmante façon de partager la culture française !
Toute l’humanité retient de Fanon sa fameuse phrase : « quand on parle mal des juifs, dressez l’oreille parce qu’on parle de vous […] un antisémite est forcément négrophobe ». Tout le monde atteste de l’humanisme de cet homme et de son ouverture. Et si l’unique objectif de la colonisation était le partage de culture, il n’aurait jamais crié « Africains, Africaines, aux armes ! Mort au colonialisme français ! [5]».
En ce qui me concerne, ma plume est mon arme. Mon encre coulera autant que nécessaire pour dénoncer ce genre de crétins de négationnistes. Ce n’est que le début, puisque la campagne ne fait que commencer. Et je dirai, pour paraphraser Fanon : « Hommes dignes, réveillez-vous ! Mort aux négationnistes ! ».
[1] Voir la préface de Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte & Poche, 2002 (reéd.) p.32
[2] Yves Benot, Massacres coloniaux, La découverte, p. XI
[3] Cité par Aimé Césaire, op.cit., p.19.
[4] Ibid.,p.34.
[5] Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, La découverte, p.149.
[1] Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy Frères, 1875, p.93-94.
[1] Cité par Cheikh Anta Diop Nations nègres et cultures, Paris, Présence Africaine, 1979, p.35.
[2] Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Seuil, 1980, p.81.