Posté le 14 octobre 2016 - par Seydi Diamil
Compte rendu de « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » de Rachid Benzine /Seydi Diamil Niane
Cela faisait longtemps, très longtemps, que le verbe n’arrivait plus à me faire pleurer. Le dernier texte m’ayant fait sangloter, si je ne me trompe pas, était L’écume des jours de Boris Vian ou Dou‘â’ al-Karawân de Taha Husayn. Je ne sais plus. Et voilà que Rachid Benzine, dont j’ai pourtant lu tous les livres, réussit à me faire craquer cette fois. Chapeau grand.
« Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » C’est la question que se pose un père meurtri qui croyait être à l’abri des assassins de l’aube. Le choix de Rachid Benzine, de donner la parole au père et non pas à la mère, comme c’est souvent le cas, est original. Ce père intelligent, cet intellectuel braillant nous pousse à repenser le processus de radicalisation, que l’on associe assez souvent à une prétendue ignorance des embrigadés : « Tu as à peine vingt ans, lui dit-il. Tu es brillante dans tes études de philosophie et de sciences religieuses. » Nour n’est pas une pauvre idiote. Tout le dialogue avec son père, dont nous n’avons malheureusement pas le nom, témoigne de son niveau intellectuel. Et ce père qui a fait aimer les sciences à sa Nour n’a pas pu résister au sentiment de culpabilité : « Je me sens si coupable ! », regrette-t-il.
Dès la première lettre de Nour, datée du 13 février 2014, Rachid Benzine nous fait part d’une des explications du processus d’embrigadement : « Ici, nous allons recréer la cité radieuse, un monde humain enfin à l’image d’Allah, gloire à Lui, et du Prophète, paix et salut sur lui. » C’est le fameux mythe du califat. Mythe, parce que cette citée radieuse n’a jamais existé. Trois des quatre califes du Prophète ont été tués. Et les premiers siècles de l’islam, tant exaltés par les salafistes, ont connu une multitude de révoltes.
La vision binaire du monde est l’une des caractéristiques des mouvements djihadistes. Si vous n’êtes pas avec nous et comme nous, vous êtes contre nous. Le jugement de Nour en est la preuve : « Tu es à l’image des peuples arabes, courbant la tête, dénonçant les injustices mais préférant la poésie à l’action, tes livres au glaive qui doit faire justice, écrit-elle à son père depuis Fallujah. Tu es complice de ces systèmes qui broient des femmes, des enfants, des hommes, des cultures et notre islam. L’hégémonie des peuples du Nord est telle que tu te réfères plus volontiers aux penseurs occidentaux qu’aux philosophes musulmans. » Pourtant, le fait qu’Averroès, l’un des plus grands penseurs musulmans, soit occidental, ne doit pas échapper à une brillante intellectuelle comme Nour. Mais c’est justement là, une preuve de l’aveuglement et du cynisme des djihadistes. Et Rachid Benzine le montre très bien.
Cette vision binaire du monde, nous autres musulmans, en souffrons quotidiennement. Le père de Nour nous le rappelle : « Avant-hier, deux journaux proches des milieux islamistes ont cité mon nom en me décrivant comme un hypocrite, un kāfir, un apostat. Moi qui passe tant de temps en prière, en étude du Coran, je deviens un ennemi à abattre. » Et ce sont nous, les universitaires, qui sommes les plus visés : « Mon crime, tu le connais : chercher la vérité sur notre religion est devenu un sacrilège. » Il y a quelques années, Mohammed Arkoun dénonçait, à juste titre, « les clôtures dogmatiques. »
Que faire des repentis qui souhaiteraient revenir parmi « nous » ? Les tuer, les mettre dans des camps de concentration ? Il faut certes les juger. Cependant, tant qu’il y a de l’espoir, il faut leur redonner une chance après leur jugement. Le plus ignoble parmi nous, pourrait retrouver la raison pour œuvrer en vue de la réhabilitation de l’Homme. « Il ne faut pas fixer l’Homme, disait Frantz Fanon, car son destin est d’être lâché. » C’est ce que Rachid Benzine fait dire au père de Nour à plusieurs reprises : « Je t’en supplie, reviens ma petite Nour adorée ! Reviens avec ton mari. Vous vous installerez dans la maison, et moi j’irai habiter la maisonnette au fond du jardin. »
Mais ne nous faisons pas d’illusions. Rachid Benzine nous montre à quel point il est difficile de convaincre un(e) djihadiste comme Nour qui, je le répète, est une intellectuelle convaincue d’œuvrer pour le bien de l’humanité ! D’ailleurs, elle n’hésite pas, dans plusieurs de ses lettres, d’essayer de recruter son père : « Papa, viens ! Ici tu trouveras ton Salut ! »
La lutte contre le djihadisme ne se gagne pas uniquement sur le terrain militaire. Il faut aussi mener une bataille idéologique qui consistera à désacraliser une bonne partie de la littérature religieuse. Il faut oser briser les tabous, déconstruire les idées reçues non pas dans le but de profaner une religion, mais pour mieux s’enraciner dans notre foi. Le djihadisme n’est pas venu de nulle part. Il y a une idéologie derrière, basée sur la certitude. Nour le fait comprendre à son père : « Le brillant universitaire nourri de raison et de spiritualité ne trouve plus les mots pour convaincre sa fille ! »
Pour lutter efficacement contre le djihadisme, il faut commencer par la lutte contre les certitudes. Rachid Benzine nous le rappelle : « Tu le sais bien, ma petite Nour : le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Ces certitudes qui vous mènent aujourd’hui tout droit en enfer ! » Ceci, la fille le sait très bien, disons plutôt qu’elle s’en est rendu compte. Mais je laisse au lecteur le plaisir de découvrir, par lui-même, la dernière lettre de Nour.
Face à cette idéologie, que faire devant l’analphabétisme religieux qui ronge la France ? Que faire lorsque l’État, au nom de la laïcité, refuse même de proposer un enseignement laïc du fait religieux ? Nous ne sommes pas du tout près de sortir de l’impasse. Face à l’offre idéologique de Daesh, nous ne proposons rien. Voilà certainement ce qu’il faut retenir de Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? que je recommande vivement à tous les amoureux de la littérature et à toutes celles et ceux qui se questionnent sur le phénomène djihadiste.
Le seul regret que j’ai c’est de ne rien connaître sur la personne du père. Où il vit ? Comment s’appelle-t-il ? « Je dois passer le mois prochain devant un tribunal pour le délit d’apostasie », dit-il. Ce tribunal se trouve dans quel État ? Si tu veux bien répondre à ces questions, cher Rachid, tu sais où me trouver.
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