Archiver pour décembre 2018
Posté le 6 décembre 2018 - par Seydi Diamil
Dr Seydi Diamil Niane – Hommage à Frantz Fanon
Le 6 décembre 1961 disparaissait Frantz Fanon, l’une des grandes figures qui ont façonné ma pensée à tel point que je dis souvent que « Je n’arrive plus, dans une démarche de foi, à lire le Coran sans faire appel à Fanon ». N’est-ce pas lui qui disait que l’Homme était un Oui vibrant aux harmonies cosmiques ? La réhabilitation de l’Homme, dont la dignité est en train d’être sacrifiée par des aventuriers maléfiques, fut le principal combat du grand révolutionnaire.
Fanon et la concordance des luttes de libération
Fanon fut aussi l’incarnation de la conscience de la concordance des luttes de libération et des combats antiracistes. Entre la lutte contre la négrophobie, l’islamophobie, l’antisémitisme ou encore celle pour les droits des femmes, par nous autres hommes souvent violés, Fanon ne choisit pas. Il faut s’attaquer à tous les maux par la révolution politique et par la force des mots. C’est ainsi qu’il disait, dans son célèbre Peau noire, masques blancs : « Il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » […] Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément un négrophobe. » C’est en m’inscrivant dans cette position, au combien humaniste de Fanon, que je demeure convaincu qu’on ne peut pas lutter contre une domination que nous subissons tout en perpétuant d’autres systèmes de domination sur d’autres minorités. Entre le sexisme, la négrophobie, l’islamophobie ou encore l’antisémitisme, hors de question de choisir. Il faut lutter contre toutes ces dominations.
De l’histoire à la mémoire, un libérateur nommé Frantz Fanon
L’un des plus grands mérites de Fanon est sa capacité à déplacer la question de l’histoire vers celle de la mémoire. Défendeur des causes noires qu’il était, Frantz a accordé une bonne place, dans ses réflexions, à la manière dont la colonisation, la rencontre entre « le noir » et « le blanc » a pu créer une certaine aliénation et un complexe d’infériorité qu’il a toujours dénoncés. Ne rappelait-il pas d’ailleurs que « en France, on dit il parle comme un livre, alors que, en Martinique, on dit il parle comme un blanc » lorsqu’il s’agit de souligner l’éloquence d’un orateur ? Exemple révélateur.
En revanche, tout en dénonçant le système de domination, né de la conquête coloniale, Fanon a toujours appelé à ce que les ex-colonisés ne soient pas prisonniers de l’histoire coloniale. C’est en ce sens qu’il disait : « vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans les âmes ? » La réponse de Fanon, à cette question aussi sensible, fut magistrale : « je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. » Il dira la même chose au sujet de la traite négrière : « vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ? » Sa réponse ? Je refuse d’être « esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères ».
Fanon, un humaniste parmi les hommes
C’est sa conscience humaniste qui lui a permis de faire basculer la question de l’histoire vers celle de la mémoire. Aujourd’hui, hommage ne sera plus grand que de continuer sa lutte pour les causes communes, son combat pour un humanisme inclusif comme il le théorisait lui-même en ces termes : « Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve. »
Dr Seydi Diamil Niane,
Chargé de recherche à Timbuktu Institute