Posté le 8 février 2020 - par Seydi Diamil
Ḥasan Tanjigoora (1870-1954), un résistant soninké à la colonisation française
Abdurahmane Yatera, Al-Ḥāǧ Ḥasan Tanjigoora (1870-1954) : al-muqāwim al-sūninkī ḍidd al-isti‘mār al-faransī fī a‘ālī nahr al-siniġāl (El Hadj Hasan Tanjigoora 1870-1954 : un résistant soninké à la colonisation française dans le Haute-Sénégal), Dakar-Le Caire, Timbuktu Éditions, 2019, 160 p.
Diplômé en études arabes et sciences islamiques de l’université al-Azhar et actuellement étudiant à la Sorbonne, Abdurahmane Yatera dit être motivé par plusieurs raisons dans son choix de travailler sur la vie de Ḥasan Tanjigoora. Il voit que les soninkés ne s’intéressent pas assez à leurs figures historiques (p.17) qui auraient pourtant joué un rôle important lors de la révolution des torrodos (p.18). Il veut aussi rendre hommage à la génération de Hasan Tanjigoora pour leurs résistances militaire et intellectuelle à l’entreprise coloniale (p.18). Cette production veut enfin pousser les universitaires à s’intéresser à l’histoire des soninkés et leurs contributions à la construction du continent noir (pp.19-20). Abdurahmane Yatera veut combler ce vide avec les huit chapitres de son livre qui viennent suivre l’introduction (pp. 21- 32) dans laquelle il appelle à ne pas faire tomber une partie de l’histoire soninkée dans les oubliettes de l’histoire (p.22) d’autant plus que les soninkés ont aussi résisté à la colonisation française portée par le « développement du capitalisme en Europe » (p.24). En plus du travail documentaire (c’est un passage de Paul Marty qui avait attiré l’attention de l’auteur), Abdurahmane Yatera a eu recours à des entretiens avec les descendants d’El Hadj Hasan Tanjigoora dont il a connu une partie pendant ses études en Egypte (p.27). D’autres entretiens ont été menés à Paris (p.27) avant qu’il ne se rende à Konjani (p.28), village natal de Hasan Tanjigoora et, un peu plus tard, à Thiès auprès d’autres descendants du résistant soninké (p.29).
Le premier chapitre (p.33- 65) retrace l’origine de la famille Tanjigoora dont fait partie El Hadj Hasan Tanjigoora. Même si, tardivement, certains membres de la famille ont eu tendance à revendiquer une ascendance arabe (pp.35-38), ce dont doute l’auteur (p.40), Abdurahmane Yatera apporte que ce nom de famille [Tanjigoora] est porté par des soninkés du Mali, du Sénégal, de la Gambie et quelques-uns de la diaspora au Congo et en Europe (p.33, note de pas de pages). Ils portaient le nom Cissé, qu’ils abandonneront avec l’islamisation des soninkés pour choisir Tanjigoora, nom qui renvoie à la pureté et à la piété (p.40). Une partie des Tanjigoora s’est installée à Konŋani, situé dans l’ancien état de Gadiaga sur les parties limitrophes du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie.
Le deuxième chapitre (pp.67-78) retrace la jeunesse et l’éducation de El Hadj Hasan Tanjigoora. Né en 1870 au village soninké Laani Moodi (p.74), El Hadj Hasan Tanjigoora a débuté sa formation intellectuelle à Konŋani, avec son père Amar Jaaxo qui était alors érudit et respecté par la population (78), puis au Mali auprès d’un Laxami Daramé (p.84) chez qui il resta jusqu’à l’éclatement de la guerre entre les Français et Muḥammad Lamine Dramé. C’est à son séjour au Mali, plus précisément à Musaala, auprès de Laxami Daramé qu’est consacré le troisième chapitre (pp.79-85)
Le quatrième chapitre (pp.87-98) revient sur l’engagement du jeune Hasan Tanjigoora avec son père au jihad déclenché par Muḥammad Lamine Dramé en 1885 contre la force coloniale française. Le contexte était chaotique. L’empire de Bundu était menacé, El Hadj ‘Umar Tall, chef toucouleur de la Tijāniyya, disparut. Son fils Amadu Cheikhou tentait de réunir les troupes de son père. C’est dans ce même contexte que Muḥammad Lamine Dramé lance son jihad, lequel jihad fut mal vu par Amadou Cheikhou dont la volonté de réunir toutes les forces musulmanes fut absolue. Muḥammad Lamine Dramé devait ainsi faire face aux forces françaises et se méfier des toucouleurs dirigées par le fils d’Umar Tall.
Le père de Hasan Tanjigoora était dans les rangs de Muḥammad Lamine Dramé dont il était devenu conseillé principal (p.87). Hasan Tanjigoora, alors âgé d’à peine quinze ans, s’engagea aux côtés de Muḥammad Lamine Dramé, avec son père mais aussi son frère Fodi Muḥammad (p.90). Après plusieurs victoires, Muḥammad Lamine Dramé fut vaincu par les Français à Sanba Selu, près de Bakel. Une alliance entre des forces locales et les Français ont eu raison de sa vie. Muḥammad Lamine Dramé meurt de ses blessures en 1887 (p.92).
Après sa défaite, Muḥammad Lamine Dramé a demandé à son fils Chuayb et à ‘Amar Jaaxo de se réfugier à Jaafunu. Leur arrivée a causé une intervention de l’armée d’Amadou Cheikhou auquel les habitants de Jaafunu semblaient ne plus payer de taxe (p.94). Hasan Tanjigoora est pris en otage ainsi que son frère par l’armée d’Amadou Cheikhou qui finira de les libérer (p.98)
Le cinquième chapitre (pp.99-110) aborde le pèlerinage à la Mecque de Hasan Tanjigoora. Âgé de vingt-neuf ans en 1899, alors que l’administration française avait pacifié le terroir ayant vaincu la plupart des forces adverses, Hasan Tanjigoora a décidé de se rendre aux lieux saints de l’islam pour accomplir le rite du pèlerinage. Accompagné de sa servante qui lui avait « offerte » par son père, Hasan Tanjigoora a pris la voie terrestre en passant par Bandiagara, Bob Dioulasso puis par les territoires Haousa où la maladie a failli l’emporter (p.102). Guéri, il prit la destination de Khartoum en passant par Bornou, Baguirmi, Ouadaï et Darfour. De Khartoum la mer rouge l’emporta aux Lieux saints de l’islam (p.105). Il profita de son pèlerinage pour approfondir ses connaissances religieuses. Sur la voie de retour, il passa par plusieurs pays dont le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Nigeria. Il resta peu de temps à Porto Novo, en 1910, à enseigner et prêcher l’islam. (p.105). L’aller et le retour lui ont pris douze ans.
Le sixième chapitre (pp.111-119) revient sur son retour du pèlerinage et son assignation à résidence par l’administration française. Revenu des Lieux saints, Hasan Tanjigoora a passé un bout de temps, à prêcher l’islam, dans la commune de Nzicomoé en Côte d’Ivoire. Les Français, qui l’ont rapidement identifié, n’avaient pas encore oublié son engagement auprès de Muhammad Lamine Dramé (p.112). Hasan Tanjigora fut ainsi arrêté en 1911 en Côte d’Ivoire (p.113) et est assigné à résidence à Konŋani, son village d’origine (p.115) où il se mit à enseigner. Quelques années plus tard, il poursuivit l’enseignement dans la région de Bakel, puis en Gambie, après avoir obtenu une autorisation de déplacement. Il finit par retourner à Konŋani en raison de la vieillesse de son aîné qui s’y occupait alors de l’instruction islamique.
Dans le septième chapitre (pp.121-131), Abdurahmane Yatera relate le retour de Hasan Tanjigoora à Konŋani ainsi que ses activités éducatives une fois arrivé chez-lui. Revenu, Hasan Tanjigoora se consacrait à l’éducation mais aussi à la dévotion. Il finit par être le maître de Jaaxali, la structure qui s’occupait de toutes les problématiques cultuelles (p.127)
Le huitième et dernier chapitre (pp.133-138) s’intéresse au décès de Hasan Tanjigoora et à ses relations. Abdurahmane Yatera cite des personnalités importantes qui ont eu à entretenir de relations cordiales avec Hasan Tanjigoora (pp.133-137) dont le décès est survenu en 1954.
Abdurahmane Yatera termine le livre avec quelques annexes dont la traduction en arabe des passages consacrés à Hasan Tanjigoora par Paul Marty (pp. 139-142).
L’auteur est bilingue et a connu le système universitaire arabe (Azhar) et celui de l’Occident (Sorbonne). Cela lui a facilité la tache. C’est ainsi qu’il cite des sources classiques en arabe à l’instar de Tārīḫ al-fattāš ou encore Zuhūr al-basātīn de Mousa Camara, sans pour autant oublier les études et références en langues occidentales (Constant Hames, John O. Hunwick, Paul Marty, etc.).
Influencé par les sources arabes, qui souvent s’arrêtent sur les moindres détails, Abdurahmane Yatera relate les informations les plus infimes ayant marqué la vie de Hasan Tanjigoora. Cela peut être quelquefois utile. Toutefois, ce procédé rend parfois la lecture pénible. C’est comme lorsqu’il cite beaucoup noms difficiles à retenir (pp.67-63) et dont l’existence historique de ceux qui l’auraient portés échappe à toute possibilité de vérification concrète.
Quelques informations, pourtant fondamentales, n’ont pas été données. Nous n’avons aucune idée du rôle joué par Hasan Tanjigoora dans l’armée de Muhammad Lamine Dramé ni de l’année durant laquelle il est parti en Gambie. Ces données auraient plus apporté à l’étude que les noms de personnes avec lesquelles Hasan Tanjigoora entretenait des relations. Certaines digressions, comme lorsqu’il aborde la question de l’islamité des miracles des saints (karāmāt al-awliyā’), ont été fatales à la fluidité du texte.
Hasan Tanjigoora était-il un soufi ? C’est une question qu’on se pose durant toute la lecture. Il faisait des miracles (pp.106-108), explique Abdurahmane Yatera. Ce n’est que dans le septième chapitre que son appartenance à la Tijāniyya est abordée (p.126). Ce n’est pas un détail. Abordé plutôt, ce point aurait eu le mérite de montrer que l’appartenance à la même confrérie n’a pas suffi pour éviter les hostilités avec Amadou Cheikhou, fils d’Elhadji ‘Umar Tall, lui aussi adepte de la confrérie fondée par cheikh Ahmed Tijānī.
Malgré les remarques qui viennent d’être faites, l’ouvrage d’Abdurahmane Yatera est une prestigieuse contribution aux études sur l’histoire de l’Afrique. Il mérite ainsi d’être traduit.
Seydi Diamil Niane
Rabat, le 8 février 2020
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