Archive pour la catégorie ‘Correspondances’
Posté le 9 avril 2018 - par Seydi Diamil
Lettre à Serigne Mansour Sy Djamil : Serigne Bi Djeureudjeuf par Dr Seydi Diamil Niane
Serigne Bi Djeureudjeuf.
C’est un homme intègre, intellectuellement bien construit, citoyen follement amoureux de son pays qui s’est exprimé. En tant que guide religieux, khalife de Serigne Moustapha Sy Diamil, vous avez, comme à votre habitude, rallumé la flamme de dignité qui commençait à être réduite en cendre par des vendeurs d’illusion.
Serigne Bi Djeureudjeuf,
En vous attaquant à cette « mafiocratie politico-religieuse », qui a décidé de se taire face à l’injustice institutionnelle et institutionnalisée, au crime organisé par des criminels protégés, vous nous avez montré que la solidarité religieuse ne doit pas empêcher de prendre nos responsabilités et de dire NON « à l’asservissement de l’homme par l’homme », comme le disait Fanon, quand dire NON s’impose.
Serigne Bi Djeureudjeuf,
Djeureudjeuf d’avoir dit que, en pleine traite négrière, des savants et hiérarques de l’islam ont pu se servir, de manière malhonnête certes, du Coran et de la tradition prophétique pour légitimer la déshumanisation de nos ancêtres. De ce point de vue, Sama Serigne di sama soppé, votre discours de ce 8 avril est fondateur et est fondamental.
Fondateur parce qu’il rompt le silence d’un monde musulman qui a décidé de se taire, pendant de longues années, alors que des hommes étaient en train d’être vendus par des hommes. Fondateur parce qu’au moment où des pays occidentaux ont voté des lois pour dire que « la traite négrière était crime contre l’humanité », aucun pays arabe n’a jugé nécessaire de condamner la traite transsaharienne arabo-musulmane, beaucoup plus longue que celle dite transatlantique. N’osons même pas comparer le nombre des victimes des deux crimes.
Fondamental puisqu’en comparant le silence de la « mafiocratie politico-religieuse » sur l’affaire Khalifa Sall à la même mafiocratie qui, par des fatwas honteuses, légitimait l’esclavage, vous avez tracé une feuille de route intellectuelle qui devrait guider le pas des taalibés. La feuille de route pourrait se résumer ainsi : plus jamais il ne faut se taire face l’injustice. Et si quelques-uns des nôtres se fâchent, TANT PIS.
En ayant eu le courage politique et intellectuel de vous attaquer à « la mafiocratie politico-religieuse », vous étiez pertinemment conscient du risque de fâcher quelques-uns des vôtres, quelques-uns des nôtres, qui ont décidé, pour des raisons que personne n’ignore, de se taire.
Pour votre courage politique, pour la profondeur de votre pensée, pour votre engagement à ne jamais sacrifier la dignité humaine, je vous dis Serigne bi Djeureudjeuf.
Dr Seydi Diamil Niane
Dakar, le 9 avril 2018.
Posté le 6 avril 2018 - par Seydi Diamil
Islam et extrémisme violent : réponse à la réponse de Sokhna Maï Mbacké Djamil / Dr Seydi Diamil Niane
Chère amie, ma Diamil préférée,
Le 18 janvier 2018, je t’adressai une lettre portant sur le rapport entre l’islam et l’extrémisme violent suite à un texte que tu avais publié sur ta page Facebook quatre jours plus tôt. Sans surprise, ta réponse ne tarda pas à venir. Je m’en réjouis et te fais part de ma fierté de te voir, ma très chère Sokhna Maï, relever le défi que je t’avais lancé. Cependant, je ne suis pas entièrement convaincu par tes explications.
Je n’aurais aucune difficulté à reconnaître que l’islam bénéficie d’un traitement un peu particulier dans les médias et chez les producteurs du discours politique en Occident. Surtout lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la violence. D’ailleurs, je dis précisément dans mon dernier livre la chose suivante : « je tiens à le préciser, les musulmans n’ont pas à se justifier d’un acte dont ils ne sont pas responsables, de la même façon que les chrétiens ne peuvent pas être pointés du doigt à propos de la guerre en Irak. Que George Bush se réclame du christianisme, très bien, mais aucun chrétien n’a à se justifier des actions engagées par une personne qui se réclame de sa religion ! De la même façon, les bouddhistes ne sont pas responsables de la persécution des Rohingyas par des moines qui se réclament du bouddhisme. [1]» Je fais aussi miens ces propos qu’Edward Saïd couchait sur papier en 1981 : « naturellement, le massacre de Jonestown, le terrible attentat à la bombe d’Oklahoma ou la dévastation de l’Indochine n’ont jamais été assimilés au christianisme, ni à la culture américaine ou occidentale dans son ensemble. Ce type d’analogie est réservée à ‘‘l’Islam’’.[2]» De ce point de vue, je suis entièrement d’accord avec toi. En revanche, je pense que par honnêteté intellectuelle, nous devons accepter et avouer que nos textes, dans une certaine mesure, ont une certaine responsabilité dans ce qui nous arrive ! Je m’explique.
Pour preuve, je t’ai cité ces deux propos tenus, le premier par Ibn ‘Abd al-Wahhab, le second par Rabī‘ al-Madḫalī :
1) « celui qui ne répond pas à la prédication par la preuve, nous le faisons plier par l’épée [3]»
2) « Si votre but est de faire triompher la parole divine, Kalimat Allah, vous n’avez qu’à aller dans un État européen, que ce soit l’Italie, la France ou l’Espagne. Eux sont des vrais impies. Allez avec votre armée dans un pays impie (kâfir), pêcheur (fâsiq) par l’impiété de son gouvernement et son peuple. Demandez-leur de rentrer dans l’islam […], s’ils acceptent, que la grâce en soit rendue à Dieu. S’ils refusent, demandez-leur de payer la jizya. S’ils refusent encore, alors le jihad devient légal…»[4].
Dans ta réponse, tu m’avais reproché de vouloir limiter l’islam à l’interprétation wahhabite. Je te cite : « Alors, si je comprends bien ton approche, les paroles de ces deux individus qui, je te l’accorde, donnent une justification juridique (dans leur juridiction qui n’est pas celui de tous les musulmans) à l’extrémisme et à la violence. Mais une justification loin d’être « religieusement » fondée car allant à l’encontre de l’essence de la parole coranique. Lorsque Abd al-Wahab professe ce qui suit : « Celui qui ne répond pas à la prédication par la preuve, nous le faisons plier par l’épée », il contredit tout simplement le Saint Coran dans son essence fondamentale. »
Très chère, je te l’aurais accordé avec beaucoup de plaisir si seuls les wahhabites défendaient cette position que tu considères religieusement infondée. Ma Djamil préférée, sais-tu que la position dominante de l’école malikite ne dit pas autre chose ? Voilà ce que Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî, auteur de la Risala qui est l’un des livres les plus importants pour les adeptes d’Imam Malick et qu’on étudie dans tous les majâlis du pays :
والجهاد فريضة يحمله بعض الناس عن بعض وأحب إلينا أن لا يقاتل العدو حتى يدعوا إلى دين الله إلا» أن يعاجلونا فإما أن يسلموا أو يؤدوا الجزية وإلا قوتلوا وإنما تقبل منهم الجزية إذا كانوا حيث تنالهم أحكامنا فأما إن « بعدوا منا فلا تقبل منهم الجزية إلا أن يرتحلوا إلى بلادنا وإلا قوتلوا
Ma jumelle adorée, me diras-tu que la position de l’école malikite, à laquelle étaient affiliés Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Seydi Elhadji Malick Sy, Qadi Majakhaté Kala, Mawlânâ Bay Niasse, etc, est « coraniquement infondée » ?
Que penses-tu de ce hadith, rapporté par Boukharî et par Mouslim ?
مِرْتُ أَنْ أُقَاتِلَ النَّاسَ حَتَّى يَقُولُوا: لَا إِلَهَ إِلَّا اللهُ، فَمَنْ قَالَ: لَا إِلَهَ إِلَّا اللهُ، عَصَمَ مِنِّي مَالَهُ، وَنَفْسَهُ إِلَّا بِحَقِّهِ، وَحِسَابُهُ أُ» «عَلَى اللهِ
« Il m’a été ordonné de combattre les hommes jusqu’à ce qu’ils témoignent qu’il n’est de divinité que Dieu et qu’ils croient en moi [en tant que prophète de Dieu] et en ce que j’ai apporté ». Cette parole du Prophète, jugée authentique par l’immense majorité des savants musulmans, ne va-t-elle pas dans le sens de la position d’Ibn ‘Abd al-Wahhâb et de Madḫalī ?
Allons plus loin, très chère amie. Tu convoques le Coran, je te cite : « Y’a t-il une source plus importante que le Coran en matière de religion islamique ? Je ne pense pas ! Alors pourquoi se fonder sur les visions personnelles d’un ou de plusieurs individus pour dire que l’islam détient une liaison avec l’extrémisme violent alors que le Coran stipule le contraire ?« Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : « Paix ». 25/63 ».
Ce même Coran ne dit-il pas la chose suivante ? « Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humilies » (9/29).
Chère Maï, source de fierté, ma jumelle et binôme, tu sais parfaitement que mon propos n’est pas de légitimer la violence faite au nom de l’islam, ni d’appeler mes coreligionnaires à se justifier. J’ai écrit un livre sur ce sujet. Mais lorsque je t’écrivais, dans ma première lettre, que « Face à cette justification juridique et religieuse de l’extrémisme violent, pointer du doigt les médias occidentaux au lieu de reconnaître que le problème est aussi islamique était-il la meilleure chose à faire ? », je voulais tout simplement dire qu’il faut un débat intra-islamique pour combattre toute lecture ou réflexion qui pourrait appeler à la négation de la dignité humaine.
Dans l’attente de ta réponse, ton jumeau, binôme et frère, Seydi Diamil Niane
Dakar, le 6 avril 2018.
Pour lire ma première lettre : http://lesouffleduvent.unblog.fr/2018/01/18/lettre-a-sokhna-mai-mbacke-diamil-dr-seydi-diamil-niane/
La réponse de Sokhna Maï Mbacké Diamil : http://maimbackedjamil.com/2018/02/21/reponse-a-seydi-djamil-nianeislam-et-extremisme-violent/
[1] Seydi Diamil Niane, Moi, musulman, je n’ai pas à me justifier, Paris, Eyrolles, 2017, p.53.
[2]Edward Said, L’Islam dans les médias, Actes Sud, 2011, p. 85.
[3] Hamadi Redissi, Le pacte de Nadjd : Ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Paris Seuil, 2007, p.94.
[4] Cité par Bernard Rougier, « Introduction », dans Qu’est-ce que le salafisme?, Paris, PUF, 2008, p. 16.
Posté le 18 janvier 2018 - par Seydi Diamil
Islam et extrémisme violent : lettre à Sokhna Maï Mbacké Diamil / Dr Seydi Diamil Niane
Chère amie, ma Diamil préférée,
Je t’écris au sujet d’un texte que tu as publié sur ta page Facebook il y a quelques jours. Pour être exact, le 14 janvier 2017 à 14h50, tu nous expliquais la chose suivante : « L’extrémisme violent n’est pas l’apanage d’un sexe, d’une race, d’une ethnie, d’une religion ou d’une culture en particulier, contrairement à l’idéologie que la plus grande partie du monde médiatique occidental veut instaurer dans la conscience collective. Il convient cependant d’en répondre avec sérénité car ces questions aggravées par les polémiques et confusions, les amalgames, les passions, les peurs et les violences sont nourris par le cycle infernal des agressions et des ripostes, depuis le 11 septembre 2001, jusqu’aux assassinats en Europe sans oublier les crimes quotidiens dont l’Afrique est le théâtre. Partout, c’est l’Islam qui est pointé du doigt. Cependant, Lorsqu’Anders Behring Breivik assassine soixante-dix-sept personnes le 22 juillet 2011 et le justifie par la défense de la société blanche contre l’invasion musulmane, aucun media ne le présente comme un terroriste chrétien. Par contre, quand Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, Said et Cherif Kouachi ainsi qu’Amedy Coulibaly tuent en série, leurs crimes abominables régissent sur l’Islam. Le terrorisme et ses corollaires sont ainsi des « outils » de taille dans la lutte acharnée contre l’Islam en tant que croyance divine et idéologie temporelle. » Si tu me le permets, très chère, je voudrais te poser les quelques questions suivantes :
1) Tu dis que « L’extrémisme violent n’est pas l’apanage d’un sexe, d’une race, d’une ethnie, d’une religion ou d’une culture en particulier, contrairement à l’idéologie que la plus grande partie du monde médiatique occidental veut instaurer dans la conscience collective ». Pourrais-tu développer un peu plus ? N’es-tu pas en train de relativiser un phénomène indéfendable qui, quoi qu’on puisse dire, a quelque chose à voir avec une certaine conception de l’islam ? Je m’explique. Aucune religion, comme tu le laisses entendre, n’a le monopole de la violence. Cependant, l’honnêteté intellectuelle doit nous faire admettre qu’une très grande production littéraire en contexte islamique peut servir de justification à l’extrémisme violent dont tu parles. Dans une de ses lettres, Ibn ‘Abd al-Wahhab, le fondateur du Wahhabisme, ne disait-il pas que « celui qui ne répond pas à la prédication par la preuve, nous le faisons plier par l’épée [1]» ? L’un des plus éminents savants wahhabites, Rabī‘ al-Madḫalī, n’a pas hésité à dire, en 1999, à l’un des militants du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) que si leur but était de faire triompher la parole divine, Kalimat Allah, ils n’avaient « qu’à aller dans un État européen, que ce soit l’Italie, la France ou l’Espagne. Eux sont des vrais impies. Allez avec votre armée dans un pays impie (kâfir), pêcheur (fâsiq) par l’impiété de son gouvernement et son peuple. Demandez-leur de rentrer dans l’islam […], s’ils acceptent, que la grâce en soit rendue à Dieu. S’ils refusent, demandez-leur de payer la jizya. S’ils refusent encore, alors le jihad devient légal…»[2]. Face à cette justification juridique et religieuse de l’extrémisme violent, pointer du doigt les médias occidentaux au lieu de reconnaître que le problème est aussi islamique n’était-il pas la meilleure chose à faire ? Comme tu le dis, « Partout, c’est l’Islam qui est pointé du doigt ». Peut-être l’islam a aussi une part de responsabilité non ?
2) Je suis d’accord avec toi sur l’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme pour stigmatiser certains musulmans surtout en contexte occidental. Je te rejoins aussi sur le fait que le traitement médiatique des crimes commis par des musulmans diffère du même traitement si le criminel appartient à une autre religion. En revanche, ne penses-tu pas que s’attarder sur le traitement médiatique nous empêche, nous autres musulmans, de prendre nos responsabilités et de faire face à ceux qui, au nom de notre religion, sèment la terreur chez des innocents ?
Dans l’attente de ta réponse, ton frère Seydi Diamil Niane.
Dakar, le 18 janvier 2018
[1] Hamadi Redissi, Le pacte de Nadjd : Ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Paris Seuil, 2007, p.94.
[2] Cité par Bernard Rougier, « Introduction », dans Qu’est-ce que le salafisme?, Paris, PUF, 2008, p. 16.