Archive pour la catégorie ‘#IlsOntMarquéMavie’
Posté le 17 avril 2020 - par Seydi Diamil
#IlsOntMarquéMaVie 3) Bakary Sambe : mon aîné, mon ami, mon frère

D’abord mes excuses. Je me devais, chaque vendredi, de vous parler de personnes qui ont marqué ma vie. Les aléas du temps m’ont empêché de tenir cette promesse. Mais me voilà de retour.
Je vous parlerai aujourd’hui de celui à qui je dois une partie de ce que je suis devenu sur le plan scientifique, professionnel mais surtout humain. C’est un génie des temps modernes. Il s’appelle Bakary Sambe. D’aucuns disent que c’est mon mentor. Je n’aime pas ce terme. Bakary est plus que ça. Il est mon frère.
C’est en 2014 que, lors de la préparation de mon projet de mémoire sur Elhadji Malick Sy que je suis tombé sur les publications d’un enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger dans lesquelles il nous faisait voyager dans l’univers d’Elhadji Malick Sy à travers une analyse inégalée de son falā budda min shakwâ et de sa nûniyya. En signature de l’un des articles, Bakary avait laissé son adresse mail. On était dimanche. Il était 14h. Je lui écris pour avoir ses conseils et suggestions. En moins de 15 minutes, celui que j’appelais à l’époque Monsieur Sambe me répond. Sa disponibilité m’avait séduit. Depuis ce mail, de ce fameux dimanche, plus rien n’a réussi à le déloger de mon cœur.
En juin 2015, j’ai soutenu mon mémoire de master à l’Université de Strasbourg. En juillet, je pars pour un mois de vacances au Sénégal. Il en profite pour m’inviter à Mbour, chez-lui. Je rencontre ses enfants, son épouse et une certaine Yague Sambe qui, aujourd’hui encore, est l’une des personnes que j’admire le plus au monde. Je ne le savais pas. Mais cette rencontre, avec Bakary, a radicalement changé ma vie.
Avant de partir de Strasbourg, mon directeur de mémoire, Eric Geoffroy avait accepté de diriger ma thèse. On s’était mis d’accord pour que je travaille sur la poésie soufie en Afrique. C’est en quittant Mbour, après une belle journée passée avec Bakary, que j’ai changé de sujet. Au cours de la discussion, le visionnaire qu’il était, me balança une phrase qui a aujourd’hui déterminé ma carrière professionnelle : « change de sujet Diamil. Travaille sur l’évolution du religieux en Afrique de l’Ouest. Cela t’assurera une bonne carrière professionnelle. Et tu pourras toujours, après ta thèse, travailler de nouveau sur la poésie ». J’ai suivi ses conseils. Ma thèse a été soutenue à Strasbourg quelques années plus tard. Le sujet fut Le conflit idéologique entre le wahhabisme et la confrérie soufie Tijāniyya au sud du Sahara : le Sénégal en exemple. Cette thèse m’a permis, aujourd’hui encore, d’être invité partout dans le monde pour partager ce que je sais.
Bakary ne s’est pas arrêté là. Tout de suite après ma thèse, il m’a recruté au Timbuktu Institute où j’ai vécu des moments inoubliables. Bakary m’a présenté des femmes et hommes aux cœurs purs. D’abord la représentation diplomatique américaine à Paris. Par ce biais, j’ai pu effectuer un voyage aux Etats-Unis en 2017 avec le programme des Visiteurs Internationaux (IVLP) financé par le Département d’Etat. Il m’a aussi présenté Sophie Bava, l’une des meilleures anthropologues du religieux qui était d’ailleurs dans mon jury de thèse. Sophie Bava, une grande sœur qui m’a permis de faire un post-doctorat à l’IRD à l’Université Aix-Marseille après mon passage à Timbuktu. C’est grâce à lui et à Sophie que j’ai connu, ensuite, Farid El Asri, qui m’a accueilli à la Chaire Cultures, Sociétés et Faits religieux de l’Université Internationale de Rabat. Cela a facilité mon installation au Maroc suite à mon recrutement par Al Mowafaqa en tant que professeur d’arabe et d’islamologie. C’est aussi grâce à Bakary Sambe que j’ai connu Dr Cheikh Guèye, grand géographe qui a cru en moi en me confiant la charge de coordonner le premier recueil de textes sur la paix et la tolérance religieuse au pays de la teranga pour le Cadre Unitaire de l’Islam au Sénégal.
Bakary Sambe, c’est tout ça. Mais pas que ça. Il y des choses qu’on peut dire. D’autres que seul notre cœur peut porter. C’est un battant au cœur doux. Un intellectuel au verbe redoutable. Un frère qui a toujours su me protéger. C’est un formateur hors pair. Il est un résistant parmi les hommes. Un gnostique devant l’Absolu.
Seydi Diamil Niane
Rabat, le 17/04/20
Posté le 28 juin 2019 - par Seydi Diamil
#IlsOntMarquéMaVie 2) « Maître »

Dans la continuité de notre série « Ils ont marqué ma vie », à laquelle vous aurez droit tous les vendredis, je viens vous parler d’une personne qui a été au cœur de ma formation intellectuelle et ne cesse de l’être pour mon cheminement spirituel. Je l’appellerais « Maître ».
Fils de Serigne Maodo Dia, grand Muqaddam de la Tijāniyya, Serigne Moustapha Dia est le premier à m’avoir initié au droit malikite. C’était en 2002. A l’époque, j’étais en classe de CM1 à l’école franco-arabe Manar al-Houda, basée à Louga. Mais pour renforcer mes connaissances, surtout religieuses, mon père a eu l’intuition de m’amener chez Serigne Moustapha Dia pour que, pendant les weekends, au lieu de passer mon temps à jouer au foot, j’aille étudier les bases de la religion.
On a commencé avec le livre d’Al-Akhḍarī, puis Al-‘Achmāwiyya. Les tous premiers qu’on étudie dans les écoles traditionnelles sénégalaises, après le Coran. Ça a continué ainsi, pendant 8 ans. En 2010, j’avais une maîtrise des classiques du droits malikites, une bonne base en théologie acharite et au soufisme. Sans oublier les écrits linguistiques et grammaticaux, qui vont d’Ibn Durayd à l’Alfiyya d’Ibn Mālik. Ce que je n’ai pas dit, c’est que le « Maître » est un encyclopédiste. Il est autant à l’aise dans le fiqh que dans la philosophie ou la grammaire et les sciences du hadith. Il connaît au bout des doigts toutes les exégèses du Coran.
C’est vraiment lui qui a fait naître chez moi le gout du savoir. Amoureux des belles lettres, il me poussait souvent à me servir de la prosodie arabe qu’il savait manipuler, pour composer des poèmes. Beaucoup ne le savent pas, mais j’ai eu à écrire quelques textes poétiques en arabe. Le mètre basīṭ est mon préféré. Il m’arrive aussi de me servir du ṭawīl et du kāmil. Mais ça, c’est une autre histoire.
C’est son père, Serigne Maodo Dia, qui lui-même porte le nom d’Elhadji Malick Sy, qui m’a initié à la Tijāniyya en 2008. J’avais dix sept ans. Mais c’est aussi l’année où j’ai commencé à me verser dans l’apprentissage des écrits d’Elhadji Malick Sy. Et c’est le « Maître » qui m’en faisait les commentaires.
Cela me suivra à vie. La preuve ? En master II, le titre de mon mémoire fut « La quête d’intercession du Prophète comme cheminement spirituel dans la poésie d’Elhadji Malick Sy ». Plus tard, il sera publié, aux éditions de l’Harmattan, sous le titre de La voie d’intercession du Prophète dans la poésie d’Elhadji Malick Sy. Aujourd’hui, l’un des rares articles scientifiques, consacré à la poésie d’Elhadji Malick Sy, est de notre plume. Ce qu’il faut savoir, c’est que si je n’avais pas été formé par lui, jamais je n’aurais été capable de faire ce travail qui fera de moi, et malgré moi, une « référence » académique quand il s’agit de parler de l’œuvre d’Elhadji Malick Sy.
Son père est décédé en 2010. Et comme le veut la tradition, en juillet 2011, alors que j’étais en vacance au Sénégal, j’ai renouvelé mon initiation auprès de lui. Il est aujourd’hui au cœur de mon cheminement. Et quand je risque de me perdre, mon premier reflexe est de l’appeler. Avec ses mots, il réussit toujours à m’attraper. Il y a beaucoup d’autres choses que ce papier ne saura porter.
Je m’en arrête là.
Merci « Maître ».
Posté le 21 juin 2019 - par Seydi Diamil
#IlsOntMarquéMaVie 1) « Si Maman si »
« Si Maman si »
Comme promis, et ce pour tous les vendredis désormais, je viens vous parler, pour leur rendre hommage, de personnes qui ont marqué ma vie et qui ont été, pour moi, sources de motivation et d’inspiration.
Je commence par le commencement. Ma première source d’inspiration. Maman, la douce et tendre à la beauté parfaite.
Née en 1967 à Ndiang Codé Niane, le village même où, 28 ans plus tard, elle entendra mon premier cri, Khady Niane a perdu ses parents alors qu’elle était assez jeune. C’est sa tante, qui se rendra à Kaïb Dia après son mariage, qui prendra soin d’elle. Jeune, elle a intégré l’école coranique du village. Depuis, le Coran ne l’a jamais abandonnée. Elle ne l’a plus abandonné non plus. La lecture du livre saint de l’islam était sa source de bonheur.
Bonheur, voilà le nom de l’étoile qui fit que, un jour, elle a accepté de partager la vie de papa à qui elle resta fidèle toute sa vie. Tendre, elle était connue pour la facilité qu’était sienne d’être source de solutions pour toutes les personnes qui venaient la solliciter, solliciter son avis et son appui.
Travailleuse, Maman était celle qui s’est vraiment occupée de notre éducation et de notre vie. Papa, comme d’autres de sa génération, vivait plus en France en tant qu’émigré. On le voyait assez peu.
Maman s’occupait du foyer mais aussi de l’aspect financier de notre existence. Elle gérait la quincaillerie Seydi Djamil, nom de notre boutique qui se situe au marché de Louga. Elle était l’unique et la seule femme du marché à faire ce métier d’hommes. Je me souviens d’ailleurs d’un jour où, un vieil homme, rentrant à la quincaillerie pour acheter du ciment, fit demi tour, dès qu’elle à vu maman, avec des mots qui résonnent encore dans ma tête : « ah, allons chercher ailleurs, c’est une femme qui gère ici ». Féministe sans jamais s’en revendiquer, elle lui rétorqua avec son magnifique sourire : « est-ce une raison de ne pas acheter chez-moi ? » Monsieur est devenu, ensuite, l’un de ses meilleurs clients.
Amoureuse de Serigne Babacar Sy, elle était fidèle à la voie Tijaniyya qu’elle reçut de la part de Serigne Mawdo Dia. Celui-même qui, plus d’une décennie plus tard, m’initia à la noble tariqa.
Elle était prête à sacrifier sa vie pour notre bonheur. Quand on lui amenait de bonnes notes, elle dépensait tout pour nous gâter. C’est là que j’ai compris que notre réussite était sa seule raison de vivre.
Hélas, l’ange de la mort ne lui a pas laissé le temps de nous voir grandis. Un samedi d’octobre 2015 a sonné la fin du match. Je venais de m’inscrire en thèse. Ma sœur venait tout juste de trouver un travail. C’était le lendemain de la achoura. Comme habituée, elle assista à la prière récitée à cette occasion, fit le tour du quartier pour « demander pardon à ses voisins » (c’est une tradition). Deux heures plus tard, elle s’envola suite à une crise cardiaque. La dernière fois qu’on a discuté, elle me parlait de mariage. Je suis fier et heureux d’avoir épousé la fille dont elle rêvait. Celle qu’elle aimait, sans jamais me le dire.
Ce jour là, « mon cœur a déménagé », comme le dirait France Gall
Marseille, le 21 juin 2019