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Posté le 23 juin 2021 - par Seydi Diamil
L’école d’Elhadji Malick Sy en France : une présence dans la durée
L’introduction de l’école d’Elhadji Malick Sy dans le paysage religieux hexagonal est assez peu sourcée. Ce que nous savons est que son fils aîné, Sidi Ahmed SY est tombé à la Grande Guerre pour la France. Nous savons aussi que, à l’inauguration de la Grande Mosquée de Paris, construite en guise d’hommage aux soldats musulmans tombés pour la France, Elhadji Malick Sy était représenté par son disciple Abdoul Hamid Kane.
La continuité de l’implantation de l’école d’Elhadji Malick a été assurée grâce au développement de l’immigration économique. Ce cas de figure peut être illustré avec l’exemple lyonais, centre important de la Tijāniyya européenne.
Dans son article sur La Tijâniyya Lyonaise, Sylvie Cottin revient sur la conversion de la ‘Alawiyya à la Tijāniyya du cheikh Kamel Mansour, figure importante de cette confrérie et qui a eu à passer par le mouvement Tabligh et par le salafisme selon certains témoignages. D’après la chercheuse, sa conversion à la confrérie soufie fondée par Cheikh Ahmed Tijānī s’est faite auprès d’un Sénégalais connu sous le nom de Imam Mamadou Diallo[1] qui, bien qu’affilié à la Tijāniyya par la chaine initiatique oumarienne [Elhadji Oumar Tall], était entouré par des disciples tijānes de l’école d’Elhadji Malick Sy. Cependant, nous avions affaire à une Tijāniyya de foyer où, de temps à autre, des cheikhs itinérants, pour reprendre l’expression de Sophie Bava, passait pour rencontrer les disciples. Nous sommes là dans les années 80. Cela a continué jusqu’aux années 2002/2004 où nous avons commencé à voir des structures plus organisées naître ici et là.
Tout est parti d’un Yahoo Groupe appelé Wā keur Cheikh [la famille de Cheikh Ahmed Tijānī] qui, à la base, constituait une sorte de réseau virtuel de solidarité où strages et petits boulots étaient souvent partagés. Un moment après la création du Yahoo Groupe, une discussion a eu lieu entre un certain M. Fall de Marseille, Imam Ahmed Ndiéguène de la Mosquée Bilal de Marseille, M. Diongue, du mouvement Ahibbā’ Seydi Diamil de Paris, P. Coulibaly de Grenoble et Bakary Sambe alors vivant à Lyon, une discussion qui a abouti à la mise en place d’une organisation physique pouvant regrouper toutes les structures tijānes de l’Hexagonne. C’est la naissance de la Fraternité de la Tijāniyya.
La Fraternité Tijāniyya
Fondée en 2005, la Fraternité Tijāniyya avait pour vocation de mettre en place un système de réseautage entre toutes les structures françaises de la Tijāniyya. Bien que, à ses débuts, englobant des réseaux ouest-africains de la confrérie, l’école d’Elhadji Malick Sy est celle qui comptait le plus de membres et de structures. La structure, avec un bureau national, était constituée de plusieurs réseaux dont la division était pensée de manière régionale répartie en 81 structures et sept secteurs. Ces différents réseaux constituent la Fraternité Tijāniyya qui, aujourd’hui, a pour unique but de faciliter l’intégration des disciples tijānes, notamment les étudiants, qui se déplacent régulièrement de ville en ville. Ainsi, grâce à la fraternité Tijāniyya, chaque disciple peut trouver des « frères » dans n’importe quelle ville française avec lesquels il pourrait accomplir les séances d’invocation obligatoires, notamment celle des vendredis soirs appelées Hadrat al-Jum’a.
Le Forum national de la Tijāniyya
Les initiateurs de la Fraternité ont aussi mis en place une organisation annuelle dont le but était de permettre à tous les adeptes de la Tijāniyya française de se rencontrer annuellement autour d’une thématique. Cette opération avait pour objectif de mieux organiser la confrérie et de prendre activement part aux débats sur l’organisation de l’islam de France comme peut en témoigner Bakary Sambe, l’un des initiateurs du Forum qui, aujourd’hui, n’est plus tenu : « En février 2005, pour la première fois, une Grande Mosquée (celle de Lyon) accepta qu’y soit organisé le 1er Forum National sur la Tijâniyya, accueillant des délégations de Marseille, d’Aix-en-Provence, de Grenoble, de Perpignan, de Paris, etc. avec des travaux publics et ouvert à tous. Ce fut l’occasion de revisiter l’héritage de cette confrérie et de réfléchir sur les moyens de partager ses enseignements, son message de paix et d’amour par un travail de vulgarisation et de publication. Les Tijânis se sont donné rendez-vous à Marseille en 2006 pour la seconde édition du Forum qui sera précédé, à la rentrée, des Assises de la Tijâniyya, en Région parisienne afin de pouvoir échanger avec le plus grand nombre de nos concitoyens et de réfléchir sur l’islam, le dialogue inter-religieux ainsi que les nouveaux enjeux du soufisme. L’islam de France gagnera, certainement, par une plus grande reconnaissance de la diversité des réalités musulmanes. Reste maintenant que de telles initiatives soient soutenues ou au moins reconnues et que les adeptes d’une telle confrérie, au regard de leur nombre et de leurs initiatives en faveur d’un islam de paix et de tolérance, sortent de leur marginalité et trouvent des moyens dignes de vivre pleinement et plus sereinement leur spiritualité »[2].
Nous avons là affaire à une vraie stratégie de quête de reconnaissance et d’implication dans l’organisation de l’Islam de France. Aujourd’hui, le Forum de la Tijāniyya ne se tient plus en raison de divergences internes entres les membres des différents réseaux qui, chacun voulant impliquer sa référence religieuse, souvent au Sénégal, ont fait naître une lutte pour le contrôle du pouvoir religieux, laquelle lutte a mis fin à la dynamique.
Aujourd’hui, la Tijāniyya sénégalaise est gérée par des familles et maîtres confrériques souvent vivant au Sénégal et qui se déplacent régulièrement en France pour animer des causeries et des journées culturelles avec leurs disciples. Cela fait de la Tijāniyya sénégalaise en France une confrérie transnationale où chacun, dans la limite de ses moyens, noue des partenariats stratégiques avec d’autres mouvements pour une plus grande mobilisation. Cette dynamique pourrait être illustrée par le mouvement Aḥibbā’ Seydi Djamil.
Tout est parti en 2002 où, venant d’arriver en France en tant qu’étudiants, un groupe de jeunes sénégalais se réunissait toutes les semaines dans une chambre estudiantine de 12m2 à Noisy le Sec pour des chants tijānes et, le vendredi soir, pour la séance de hadra, dans la salle, qui se trouvait au rez-de-chaussée de la résidence, lorsque la chambre ne pouvait plus contenir le monde qui venait, de plus en plus nombreux.
De passage à Paris, Serigne Manosur Sy Djamil, petit-fils d’Elhadji Malick Sy et diplômé de l’Université de Sorbonne, a appuyé la démarche avec une autorisation officielle pour que le jeune mouvement, qui venait de se constituer, soit rattaché à la famille spirituelle d’Elhadji Malick Sy. Serigne Manosur Sy Djamil donnait ensuite les coordonnées du jeune mouvement aux disciples qui venaient étudier à Paris pour qu’ils puissent entrer en contact. Au début, on les appelait Dahira étudiant. C’est ensuite que Serigne Mansour Sy Djamil leur donné le nom de Aḥibbā’ Seydi Djamil [Ceux qui aiment Seydi Djamil]. Seydi Djamil, fils de Serigne Babacar SY et petit-fils d’Elhadji Malick Sy, est le père de Serigne Mansour Sy Djamil.
Aujourd’hui, le mouvement qui se réunit tous les vendredis à la salle MAS, située au 10 rue des Terres au Curé dans le XIIIe arrondissement de Paris, compte une centaine de membre rien qu’en région parisienne. En plus de cela, Serigne Mansour Sy Djamil a eu l’initiative de les mettre en contact avec les autres structures européennes dont il est le maître spirituel. C’est ainsi qu’est née une organisation européenne des Aḥibbā’ Seydi Djamil qui regroupe des disciples tijanes de Paris, Stuttgart, Londres, Munich et Tréviso où, chaque année, est tenu une cérémonie religieuse, par Serigne Mansour Sy Djamil présidée, qui regroupe entre 2000 et 3000 disciples venus de toute l’Europe mais aussi du Sénégal. C’est au sujet de cet évènement que, dans un texte qu’il nous a fait l’amitié de partager avec nous, il souligne : « Bonheur ineffable dans une Europe où l’on projette une image abjecte, mais fausse, de l’Islam. Voici un événement qui célèbre la paix des cœurs et des esprits dans une commémoration qui a la signification d’un véritable recueillement et d’une fête exquise qui réunit la culture du Sénégal dans ses différentes formes et ce dans le week-end Saint de Pâques en communion avec nos frères chrétiens dans le pays du Vatican. Le choix du week-end de Pâques est la clef du succès du Gamou de Treviso. Il nous évite de le tenir le jour même de la disparition de Serigne Babacar SY et nous rappelle en même temps notre appartenance à la vieille tradition abrahamique, fondatrice du monothéisme ».
Dr Seydi Diamil Niane / IFAN Cheikh Anta Diop
seydidiamil.niane@ucad.edu.sn
[1] Sylvie Cottin, « La Tijâniyya lyonnaise », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 140 | octobre – décembre 2007, mis en ligne le 02 juillet 2011, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://assr.revues.org/11523 ; DOI : 10.4000/assr.11523
[2] https://oumma.com/la-tijaniyya-en-france-a-quand-la-reconnaissance/, [lien visité le 5 juillet 2018]
Posté le 21 juin 2019 - par Seydi Diamil
La poésie d’Elhadji Malick Sy Entre désir, souffrance et cheminement spirituel
- Auteur: Niane (Seydi Djamil)
- Résumé: À partir du xvie siècle, des courants soufis ont développé la doctrine de la « voie muḥammadienne » qui met la dimension mystique de Muḥammad au centre du cheminement des disciples. La Tiğāniyya fait partie ce courant. En se référant à la poésie d’Elhadji Malick Sy, ce texte analyse la manière dont il exprime son désir de se rendre, pour son cheminement spirituel, aux Lieux-saints de l’Islam et de la Tiğāniyya dont il fut un maître, ainsi que la façon dont l’attente du voyage mystique s’exprime.
- https://classiques-garnier.com/licarc-2018-litterature-et-culture-arabes-contemporaines-n-6-l-attente-la-poesie-d-elhadji-malick-sy.html
- Pages: 191 à 203
- Année d’édition: 2018
- Revue: LiCArC (Littérature et culture arabes contemporaines), n° 6
- ISBN: 978-2-406-08529-4
- ISSN: 2270-7220
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08529-4.p.0191
- Éditeur: Classiques Garnier
- Date de parution: 23/11/2018
- Périodicité: Annuelle
- Langue: Français
Posté le 8 avril 2019 - par Seydi Diamil
Ahibbâ’ Seydi Djamil et l’européanisation de la Tijâniyya: le génie de Serigne Mansour Sy Djamil
Ahibbâ’ Seydi Djamil et l’européanisation de la Tijâniyya: le génie de Serigne Mansour Sy Djamil
Extrait d’un article de Seydi Diamil Niane sur la Tijâniyya en France
Tout est parti en 2002 où, venant d’arriver en France en tant qu’étudiants, un groupe de jeunes sénégalais se réunissait toutes les semaines dans une chambre estudiantine de 12m2 à Noisy le Sec pour des chants tijānes et, le vendredi soir, pour la séance de hadra, dans la salle, qui se trouvait au rez-de-chaussée de la résidence, lorsque la chambre ne pouvait plus contenir le monde qui venait, de plus en plus nombreux.
De passage à Paris, Serigne Manosur Sy Djamil, petit-fils d’Elhadji Malick Sy et diplômé de l’Université de Sorbonne, a appuyé la démarche avec une autorisation officielle pour que le jeune mouvement, qui venait de se constituer, soit rattaché à la famille spirituelle d’Elhadji Malick Sy. Serigne Manosur Sy Djamil donnait ensuite les coordonnées du jeune mouvement aux disciples qui venaient étudier à Paris pour qu’ils puissent entrer en contact. Au début, on les appelait Dahira étudiant. C’est ensuite que Serigne Mansour Sy Djamil leur donné le nom de Aḥibbā’ Seydi Djamil [Ceux qui aiment Seydi Djamil]. Seydi Djamil, fils de Serigne Babacar SY et petit-fils d’Elhadji Malick Sy, est le père de Serigne Mansour Sy Djamil.
Aujourd’hui, le mouvement qui se réunit tous les vendredis à la salle MAS, située au 10 rue des Terres au Curé dans le XIIIe arrondissement de Paris, compte une centaine de membres rien qu’en région parisienne. En plus de cela, Serigne Mansour Sy Djamil a eu l’initiative de les mettre en contact avec les autres structures européennes dont il est le maître spirituel. C’est ainsi qu’est née une organisation européenne des Aḥibbā’ Seydi Djamil qui regroupe des disciples tijanes de Paris, Stuttgart, Londres, Munich et Tréviso où, chaque année, est tenu une cérémonie religieuse, par Serigne Mansour Sy Djamil présidée, qui regroupe entre 2000 et 3000 disciples venus de toute l’Europe mais aussi du Sénégal. C’est au sujet de cet évènement que, dans un texte qu’il nous a fait l’amitié de partager avec nous, il souligne :
« Bonheur ineffable dans une Europe où l’on projette une image abjecte, mais fausse, de l’Islam. Voici un événement qui célèbre la paix des cœurs et des esprits dans une commémoration qui a la signification d’un véritable recueillement et d’une fête exquise qui réunit la culture du Sénégal dans ses différentes formes et ce dans le week-end Saint de Pâques en communion avec nos frères chrétiens dans le pays du Vatican. Le choix du week-end de Pâques est la clef du succès du Gamou de Treviso. Il nous évite de le tenir le jour même de la disparition de Serigne Babacar SY et nous rappelle en même temps notre appartenance à la vieille tradition abrahamique, fondatrice du monothéisme ».
Posté le 6 décembre 2018 - par Seydi Diamil
Dr Seydi Diamil Niane – Hommage à Frantz Fanon
Le 6 décembre 1961 disparaissait Frantz Fanon, l’une des grandes figures qui ont façonné ma pensée à tel point que je dis souvent que « Je n’arrive plus, dans une démarche de foi, à lire le Coran sans faire appel à Fanon ». N’est-ce pas lui qui disait que l’Homme était un Oui vibrant aux harmonies cosmiques ? La réhabilitation de l’Homme, dont la dignité est en train d’être sacrifiée par des aventuriers maléfiques, fut le principal combat du grand révolutionnaire.
Fanon et la concordance des luttes de libération
Fanon fut aussi l’incarnation de la conscience de la concordance des luttes de libération et des combats antiracistes. Entre la lutte contre la négrophobie, l’islamophobie, l’antisémitisme ou encore celle pour les droits des femmes, par nous autres hommes souvent violés, Fanon ne choisit pas. Il faut s’attaquer à tous les maux par la révolution politique et par la force des mots. C’est ainsi qu’il disait, dans son célèbre Peau noire, masques blancs : « Il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » […] Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément un négrophobe. » C’est en m’inscrivant dans cette position, au combien humaniste de Fanon, que je demeure convaincu qu’on ne peut pas lutter contre une domination que nous subissons tout en perpétuant d’autres systèmes de domination sur d’autres minorités. Entre le sexisme, la négrophobie, l’islamophobie ou encore l’antisémitisme, hors de question de choisir. Il faut lutter contre toutes ces dominations.
De l’histoire à la mémoire, un libérateur nommé Frantz Fanon
L’un des plus grands mérites de Fanon est sa capacité à déplacer la question de l’histoire vers celle de la mémoire. Défendeur des causes noires qu’il était, Frantz a accordé une bonne place, dans ses réflexions, à la manière dont la colonisation, la rencontre entre « le noir » et « le blanc » a pu créer une certaine aliénation et un complexe d’infériorité qu’il a toujours dénoncés. Ne rappelait-il pas d’ailleurs que « en France, on dit il parle comme un livre, alors que, en Martinique, on dit il parle comme un blanc » lorsqu’il s’agit de souligner l’éloquence d’un orateur ? Exemple révélateur.
En revanche, tout en dénonçant le système de domination, né de la conquête coloniale, Fanon a toujours appelé à ce que les ex-colonisés ne soient pas prisonniers de l’histoire coloniale. C’est en ce sens qu’il disait : « vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans les âmes ? » La réponse de Fanon, à cette question aussi sensible, fut magistrale : « je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. » Il dira la même chose au sujet de la traite négrière : « vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ? » Sa réponse ? Je refuse d’être « esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères ».
Fanon, un humaniste parmi les hommes
C’est sa conscience humaniste qui lui a permis de faire basculer la question de l’histoire vers celle de la mémoire. Aujourd’hui, hommage ne sera plus grand que de continuer sa lutte pour les causes communes, son combat pour un humanisme inclusif comme il le théorisait lui-même en ces termes : « Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve. »
Dr Seydi Diamil Niane,
Chargé de recherche à Timbuktu Institute
Posté le 23 juillet 2018 - par Seydi Diamil
Oui, il faut discuter de l’islam / Dr Seydi Diamil Niane
« Peut-on discuter de l’Islam ? [1]», cette question posée par Pr Penda Mbow dans un article publié par le site d’information sénégalais Seneplus enflamme la toile. Les articles et commentaires pleuvent. La preuve en est que, quelques jours plus tard, Amadou Tidiane Wone a répondu à la question de Madame Mbow par l’affirmatif : « Oui, on peut discuter de l’Islam [2]». Puis vint le tour d’Alymana Bathily qui, dans une délicieuse plume, prend le contrepied de Monsieur Wone. Sa réponse ? « Non, Penda, on ne peut pas discuter de l’Islam au Sénégal. [3]»
De mon point de vue, il faut déplacer la problématique de la question du « pouvoir » à celle du « devoir ». Autrement dit, au lieu de nous demander si nous « pourrions » parler de l’islam, je pense que nous devrions plutôt en discuter. Mais de quel islam parle-t-on ?
Eclaircissement terminologique
Avant de poursuivre notre raisonnement, revenons un peu sur l’orthographe même du mot Islam pour mieux définir le cadre conceptuel du débat. Parle-t-on de l’islam ou de l’Islam ? Comme nous avons eu l’occasion de le montrer dans notre Moi, musulman, je n’ai pas à me justifier, « En islamologie, Islam, avec une majuscule, désigne ce qu’on a appelé à tort la civilisation arabo-musulmane. Avec une minuscule, islam désigne la religion avec son dogme, sa jurisprudence, sa théologie, sa spiritualité, etc.
Islam, avec une majuscule, c’est l’histoire des quatre premiers califes, dont trois ont été tués par des musulmans, c’est l’Empire omeyyade qui a connu une résistance de la part des Kharidjites, des Zubayrites et des chiites ; c’est aussi l’Empire abbasside qui a dû faire face à plus d’un siècle de révoltes de la part d’autres musulmans ; c’est l’histoire fatimide, andalouse, ottomane, la tradition négro-islamique, etc. C’est aussi l’histoire de l’Islam contemporain qui se manifeste différemment en fonction des zones géographiques. L’Islam d’Iran n’est pas celui des États-Unis, qui diffère de celui du Sénégal et de celui de l’Arabie Saoudite. Face à cette histoire aux facettes on ne peut plus variées, il faut réaffirmer, comme le faisait Edward Said il y a quelques années, qu’« il est tout bonnement impossible de faire correspondre l’‘‘Islam’’ auquel on fait référence en Occident à la réalité extrêmement diverse du monde musulman, qui compte huit cents millions d’individus [aujourd’hui plus d’un milliard de musulmans], des territoires multiples et variés…» L’islam, avec une minuscule, ce sont les différentes écoles juridiques avec leurs différentes positions, parfois contradictoires ; ce sont aussi les différents courants théologiques et mystiques qui n’hésitent pas à s’excommunier. Cet islam, c’est le soufisme dans ses différentes branches, le chiisme avec ses divergences, le sunnisme dans ses quatre écoles canoniques, le malikisme, le hanbalisme, le hanafisme et le chafiisme. C’est aussi dans ce même islam qu’il faut placer les différents courants théologiques, allant du mutazilisme au wahhabisme en passant par l’ibâdisme.[4] » Pour faire court, c’est comme si nous parlions de christianisme et de chrétienneté. Rien à avoir d’un point de vue conceptuel.
Oui, nous devons discuter de l’islam…mais à condition
La première condition, de mon point de vue, pour discuter de l’islam, est de sortir de l’autoréférence, démolir les mythes et les légendes pour que la loi revienne à la rigueur scientifique. Une fois que cela est dit, tout discours d vérité doit être banni. La théologie et la démarche apologétique doivent laisser place à l’islamologie, à la linguistique, à l’histoire et à l’anthropologie. Tout cela, dans la précision la plus parfaite.
Ainsi, il faudrait se garder de certaines approximations. Bien évidemment je serais d’accord avec Madame Mbow pour dire qu’il n’y a pas de clergé en islam sunnite [pour le chiisme c’est un peu plus compliqué]. Mais je pense que ce serait d’aller un peu trop vite de dire qu’il n’y a pas d’excommunication en islam. La production juridico-théologique, dans le contexte islamique, nous montre toute autre chose. Il suffirait de se pencher sur toute la littérature hérisologique pour voir que les théologiens, depuis toujours, versent dans l’excommunication. Contentons-nous de citer ces propos de ‘Abd al-Rahmân al-Wakil par nous-mêmes traduits : « Les soufis se nourrissent de toute religion ou secte sauf de l’islam. À moins que nous considérions que le mal le plus ignoble puisse se nourrir de la noble vérité ou que l’impureté de la mécréance puisse tirer son esprit de la croyance pure[5] ». Ajoutons à cela que parler d’apostasie, après le décès du Prophète au sujet d’un groupe qui aurait renoncé à payer une taxe au nouveau calife, relève d’une confusion des époques. L’anthropologie, appliquée sur cette période, montre qu’on avait plutôt affaire à une rupture d’alliance clanique. Un délit hautement répressible par les règles tribales qui prédominaient dans les transactions humaines de l’Arabie du 7em siècle.
Dans une position plus apologétique que critique, le texte de Monsieur Wone nous semble plus problématique. La manière dont il a limité le champ référentiel évacue tout débat critique de facture académique. Ce passage en est la plus parfaite illustration « Oui on peut discuter de l’Islam. Pour ce faire et bien faire, entendons-nous sur les termes du débat. L’Islam, ultime révélation du Seul Créateur des Mondes dispose d’un Livre qui contient toutes les réponses aux questions qui lui sont posées : Le Coran. Il suffit de s’écouter et la démonstration sera faite qu’il ne s’agit pas d’une œuvre humaine mais bien d’un message divin. Un message codé, voire crypté sur certains aspects, mais d’une limpide simplicité sur d’autres. » Nous sommes face à une démarche de foi loin de toute rigueur scientifique. Ce fut un temps, Mohammed Arkoun parlait de « clôtures dogmatiques ». Et puis Monsieur Wone semble confondre l’islam avec le Coran. Quid de toute la production théologico-juridique ? Que faire de Qushayrî, de Ghazâlî, d’Ibn Rouchd, d’Ibn ‘Arabî, de Suyûtî, de toute la production d’Ibn al-Qayyim et d’Ibn Taymiyya ? René Guénon, Martin Lings, Amadou Hampâté Bâ, etc ? De plus, notre aîné Amadou Tidiane Wone veut, à tout prix, prouver que le Coran confirme les textes antérieurs. Ce même Coran ne taxe-t-il pas les juifs et chrétiens d’avoir falsifié leurs textes sacrés ?
Plus percutant est la réponse de Monsieur Bathily pour qui on ne peut pas parler de l’islam au Sénégal étant donné que, toujours d’après lui, « L’Islam officiel qui a cours dans ce pays est un Islam radical et totalitaire qui normalise toutes les relations sociales et contrôle les libertés publiques et individuelles – Cet Islam radical ne tolère en fait aucune réflexion. » Tout en partageant une bonne partie de la réflexion de Monsieur Bathily, je pense que, sur ce coup, il est allé trop vite. L’islam officiel est un mythe qui n’a aucune existence concrète. Quel serait cet islam ? Laquelle des confréries soufies ? Les tendances salafisantes ? La communauté chiites ou les différentes associations des ‘Ibâd Rahmân ? Serait-il représenté par la tendance académique et féministe ? Ou bien par l’Association islamique pour servir le soufisme ? Et le Cadre Unitaire de l’islam au Sénégal dans tout cela ?
Notre objectif n’était pas ici de réfuter les plumes de nos trois aînés. Mais je pense qu’il faut parler, discuter et débattre de l’islam sans aucune autocensure ou peur de représailles. Cependant, entendons-nous bien : je parle de l’islam en tant qu’objet d’étude ou fait social et non pas en sa qualité d’une religion qui serait [la seule] détentrice de la vérité.
Vive le débat démocratique
Vive la disputatio académique
[1] Penda Mbow, Peut-on discuter de l’islam ? http://www.seneplus.com/opinions/peut-discuter-de-lislam [article publié le 27 juin 2018]
[2] Amadou Tidiane Wone, Oui, on peut discuter de l’islam, http://www.seneplus.com/opinions/oui-peut-discuter-de-lislam [article publié le 30 juillet 2018]
[3] Alymana Bathily, Non, Penda, on ne peut pas discuter de l’islam au Sénégal, http://www.seneplus.com/opinions/non-penda-ne-peut-pas-discuter-de-lislam-au-senega [article publié le 20 juillet 2018]
[4] Seydi Diamil Niane, Moi, musulman, je n’ai pas à me justifier- Manifeste pour un islam retrouvé, Paris, Eyrolles, 2017, pp.75-77.
[5] ‘Abd al-Raḥmān al-Wakīl, Hâḏî hiya al-sûfiyya., p.19.
Posté le 16 avril 2018 - par Seydi Diamil
Le développement économique dans la philosophie de Mawdo / Dr Seydi Diamil Niane
« Je dois le quitter pour essayer de gagner ma vie avec le travail de la terre », disait autrefois Elhadji Malick Sy pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons. Ethique, responsabilité et dignité, ces trois mots pourraient résumer les propos du Sage de Tivaoun et nous informent sur sa philosophie de développement économique dont l’analyse est l’objet de ce papier.
Aborder la question du développement économique dans la pensée de Mawdo nous oblige à replacer la question dans le cadre général de son œuvre réformatrice pour la perfection des liens verticaux et horizontaux et la réhabilitation de l’éthique individuelle et collective.
Les liens verticaux lient l’humain au divin. Leur perfection doit avoir la sincérité pour base. Ne disait-il pas que la sincérité était la parure de l’aspirant sur la voie de la perfection spirituelle ? (Al-sidq fahwa zinatul murîdi). Une fois la sincérité acquise, l’aspirant peut facilement cheminer vers la conquête de la crainte de Dieu. A ce propos, rappelons-nous la manière dont cheikh Ahmed Tijānī définissait le soufisme : « se conformer aux ordres de Dieu et s’éloigner de ses interdits comme Il le souhaite Lui-même et non pas comme tu le souhaites ». En somme, le cheikh fondateur de la Tijāniyya appelle à la perfection des liens verticaux, laquelle perfection est au centre de la démarche d’Elhadji Malick Sy. Cela va de pair, bien évidemment, avec la réhabilitation de l’éthique individuelle qui empêche l’aspirant d’avoir recours à la tricherie quelqu’en soit la nature.
Le deuxième point fondamental est la perfection des liens horizontaux et la réalisation de l’éthique collective. C’est cela qui crée une sorte de pacte sacré entre les hommes dans le seul but d’avoir la satisfaction de Dieu. Pour ce faire, les fils conducteurs ne doivent être autres que le respect et la quête de la dignité. C’est ainsi qu’Elhadji Malick Sy s’est attelé au développement de la mystique du travail qui s’est concrétisée avec sa vaste opération de culture arachidière. Ne sommes-nous toujours pas en train de vanter les souvenirs de Ndiarné et de Djaksao ?
L’éthique, c’est vivre avec et dans la dignité sans compter sur autre que le Très-Haut. Elhadji Malick Sy en fut l’exemple le plus accompli et la manifestation la plus parfaite. Voilà ce qu’Elhadji Mâmoune Ndiaye, petit neveu de Mor-Massamba-Diéry Dieng, raconta à Elhadji Ravane Mbaye :
Elhadji Malick demanda un jour à ma mère Anta Dieng alors qu’ils se trouvaient tous deux à Tivaoune : « Sokhna Anta, sais-tu pourquoi je suis allé à Ndiarné ? » Ma mère ayant répondu par la négative, il poursuivit : « J’étais allé une fois chez un boutiquer de Saint-Louis pour chercher des bougis à crédit. Le boutiquer, après avoir accepté, refusa. Arrivé à la maison, je me mis à raconter l’affaire aux autres. Or, Bâye Mor-Massamba-Diéry, informé, je ne savais comment, remit un franc à un disciple qui alla acheter le paquet de bougies pour moi ».
« Pendant la nuit, je me mis à réfléchir sur ma situation sociale et aboutis à la conclusion suivante : « Bâye Massamba-Diéry m’héberge avec ma femme et se fait l’obligation de payer mes dettes. Je dois le quitter pour essayer de gagner ma vie avec le travail de la terre. Voilà, conclut-il, le pourquoi de mon installation à Ndiarné.[1] »
Quelle élégance ! L’homme est beau quand il est animé par une conscience de dignité. La dignité est belle lorsqu’elle est portée par un homme de Dieu comme Elhadji Malick Sy. Ce récit, nous pouvons le dire, résume bien la philosophie de développement économique d’Elhadji Malick Sy qui s’inscrit dans le cadre général de la perfection des liens verticaux et horizontaux. Rester chez Bâye Massamba-Diéry aurait été une atteinte grave à sa conscience et une remise en cause de son éthique. De ce récit, nous pouvons retenir les leçons suivantes :
1) La solidarité entre les enfants d’une nation, voire d’une civilisation, doit être chérie. Voilà que le disciple saint-louisien d’Elhadji Malick Sy, informé de la situation, a tout de suite pris un franc pour répondre au besoin de l’homme de Tivaoun.
2) L’assistanat ne doit pas être une règle de vie. Chacun doit travailler pour le développement économique et pour la marche de la civilisation humaine. Elhadji Malick Sy n’a-t-il pas profité de la situation qu’il venait de vivre à Saint-Louis pour déménager à Ndiarné en vue de contribuer au développement de sa terre ?
3) L’intérêt général doit primer sur l’obsession de l’enrichissement personnel. Rappelons à ce propos que, en même temps qu’il cultivait la terre, Elhadji Malick Sy cultivait les esprits. « Ce stratège, ce Généralissime en Chef, placé à la tête d’une armée pacifique de plusieurs centaines de milliers d’âmes, disait Iba Der Thiam, n’a jamais eu d’autres armes que son chapelet, son verbe et sa plume. » Parce qu’un bon développement économique nécessite la présence de femmes et d’hommes pour qui l’intérêt général doit primer sur l’enrichissement individuel, Elhadji Malick Sy appelle, par son exemple, à la formation intellectuelle et la réforme spirituelle des fonctionnaires. Son chapelet et sa plume étaient ses armes.
A ces trois points viennent s’ajouter deux autres non moins importants pour le développement économique : la redistribution des richesses et la lutte contre le blanchiment d’argent ou l’optimisation fiscale. Aussi a-t-il émis un avis juridique rendant l’aumône sur les bénéfices de l’arachide obligatoire. Cette mesure fut révolutionnaire au point de heurter d’autres jurisconsultes de son époque. Dans un langage plus contemporain, cette position d’Elhadji Malick Sy pourrait être considérée comme une opération contre le blanchiment d’argent et pour la redistribution des richesses, deux conditions nécessaires à un bon développement économique.
Dr Seydi Diamil Niane
Dakar, le 22 novembre 2017
[1] Elhadji Ravane Mbaye , Le grand savant Elhadji Malick Sy ; pensée et action, Albouraq, 2003 , p.132.
Posté le 14 avril 2017 - par Seydi Diamil
Quand le salafiste Ahmed Lô fait dire à cheikh Ahmed Tijânî ce qu’il n’a jamais dit. Premier épisode.
On le savait depuis longtemps, le mensonge est béni chez les salafistes. Surtout lorsque le but est d’excommunier les soufis. Au Sénégal, depuis des années, un certain Ahmed Lô, le gourou des salafistes du pays, prêche sa haine des confréries de manière générale et la Tijâniyya de façon plus particulière.
La haine rend aveugle. Nous le savons. Mais ce barbu qui prétend servir Dieu en s’appuyant sur le Coran et la sunna, ne trouve pas gênant d’inventer de toute pièce des propos mensongers et de les attribuer au fondateur de la Tijāniyya, que son précieux secret soit sanctifié.
S’appuyant sur une lettre de cheikh Ahmed Tijānī, sur laquelle nous reviendrons, Ahmed Lô souligne que ce que les adeptes de la Tijāniyya appellent la Dā’ira al-faḍliyya fait partie des doctrines qui autoriseraient les praticiens de la voie de s’éloigner des commandements de Dieu. Concernant la Dā’ira al-faḍliyya, l’auteur wahhabite affirme que :
« Elle consiste à rendre licite pour les tijānis tout ce qui est illicite, tout en leur garantissant le salut éternel dans l’au-delà. Dans ce sens, continue Aḥmed Lô, al-Tijānī dit : ‘‘sache que Dieu a un cercle (dā’ira) qu’on appelle al-Dā’ira al-faḍliyya. Il est protégé au-delà des autres cercles en charge des ordres, interdits, et des récompenses, en bien et en mal […] ces cercles sont ceux de la masse des créatures (‘umūm al-ḫalḫ). Quant à la Dā’ira al-faḍliyya, c’est celui que Dieu a particulièrement choisi et dont il pourrait faire bénéficier qui il veut parmi sa créature […] peu importe que la personne qui y pénètre respecte ses engagements ou non, peu importe aussi qu’elle suive la voie droite ou non. En effet, toute personne qui bénéficie de la Dā’ira al-faḍliyya bénéficiera du salut éternel le jour du Jugement sans crainte ou difficulté.[1] »
En commentaire, Aḥmed Lô décrète que, pour le fondateur de la Tijāniyya,
«… Les ordres et interdits divins sont pour la masse des croyants. Quant à l’élite, elle a la Dā’ira al-faḍliyya ; Quiconque pénètre ce cercle, qui ne fait pas partie de la šarī‘a, bénéficiera du salut éternel ;
Le plus étrange dans tout cela, commente encore M. Lô, c’est que le cheikh s’adressait, dans cette lettre, à un gouverneur. De ses propos, il apparaît même que ledit gouverneur était un injuste (jā’ir) et qui commettait beaucoup d’injustice (kaṯīr al-ẓulm). C’est la raison pour laquelle il lui disait dans cette lettre : ‘‘… jusqu’à ce que tous tes péchés soient entièrement effacés et que toutes tes bonnes actions soient acceptées, peu importe ton état. Et méfie-toi de penser cela impossible, parce que Dieu a un cercle qu’on appelle al-Dā’ira al-faḍliyya… [2]»
Pour vous prouver que ce salafiste ne craint pas Dieu et que ce qu’il dit dans son livre est pur mensonge, nous reproduisons ici la lettre de cheikh Ahmed Tijānī à laquelle il fait allusion. Nous nous servons de la traduction de Dr Ravane Mbaye :
« […] De la part de celui qui l’a écrite, le serviteur et le pauvre à l’égard de Dieu, Ahmad Ibn Mahammad at-Tijânî. :
Or donc, nous prions Dieu […] pour qu’Il fasse de vous, en ce monde et dans l’autre, l’un des meilleurs de notre communauté, un d’entre ceux vers qui Il dirige Son regard de bienveillance et d’action, d’amour accompli et de grâce pure et particulière, pour que vos péchés soient absous et vos bienfaits acceptés quel que soit l’état qui est le vôtre. Dieu fasse que vous ne considériez cela comme étant impossible à réaliser, car Dieu –Qu’Il soit glorifié et exalté- possède au centre de ses grâces, un trésor qu’Il garde au-delà des limites des domaines du commandement et de l’interdiction, de la sanction positive ou négative, non soumis à des considérations de rapport, de nécessité ou de détermination, ces derniers étant des choses à l’apanage de l’ensemble de ses créatures. Ce centre des grâces est, par contre, celui de ses privilèges et choix électifs […] qu’Il accorde à qui Il veut parmi ses créatures. Ce centre, Il en a fait un flux qui provient de l’océan de Sa générosité et de Sa noblesse. Flux qui ne s’interrompt pas pour une quelconque raison selon Sa Volonté particulière, sans que soit tenu compte de ce qu’implique celle-ci, ni de ce qu’on a l’habitude de voir, qu’on soit engagé dans le bon chemin ou, déchu par ses péchés, dans le mauvais. On n’y retient pas compte de la personne à qui on donne ni de pour qu’elle raison on lui donne. Quiconque est admis dans ce centre parmi les créatures de Dieu, son bonheur sera parfait dans l’autre monde, aucune peine ou affliction ne s’y mêlant.
Quant à ce à quoi je voudrais vous exhorter, c’est que vous devez être un peu plus attentif à ce que notre Seigneur a dit dans Son livre et qui suffit d’exhortation. Il y a dit, en effet : ‘‘ Ô croyants, craignez Dieu, que chaque âme considère ce qu’elle avance pour demain […]’’. Il a dit aussi : ‘‘Ô croyants, craignez Dieu et ne dites que des paroles décentes […]’’. Et encore : ‘‘ Nous confiâmes à ceux qui reçurent l’Ecriture avant vous, et à vous aussi, de craindre Dieu […]’’
Sache que tu occupes un degré dans lequel on possède des faveurs qui génèrent des bienfaits et des bonnes actions. Quiconque a amassé des richesses doit connaître le cas extrême que constituent la misère et les maux. C’est entre les deux extrêmes que se situe le degré que tu occupes. Sache aussi que Dieu vous observe par le biais de ton cœur. Porte donc sur ces créatures, et sur les indigents et pauvres parmi elles, un regard de compassion. Etends sur elles les ailes de mansuétude. Ne pose sur eux qu’un regard qui ne les voit être qu’une relation à Dieu –Qu’Il soit exalté-. Par ce regard, empresse-toi de satisfaire leurs désirs autant que tu pourras pour l’amour de Dieu. Que ce regard que tu portes sur eux soit celui que tu portes sur Dieu, notre Maître Absolu […] Qu’il soit un regard de sublimation, un regard de compassion, un regard d’exaltation, un regard d’indulgence, qui soit à même de satisfaire leurs besoins, de les protéger comme on protège ses propres enfants […]
Que Dieu nous préserve de ne pas nous soucier de Ses créatures, de refuser de satisfaire leurs besoins, de nous départir du sentiment de compassion et de commisération que nous devons avoir envers elles. Le lot de quiconque tel serait le comportement est, comme on le sait, l’Enfer, eu égard à la Parole de Dieu –Qu’Il soit exalté- relative à celui qui s’était comporté de la même manière : ‘‘Emparez-vous de lui, qu’on l’enchaîne, que l’Enfer en soit la demeure’’ (La vérité, 31-32), jusqu’à : ‘‘car il ne croyait pas en Dieu, le Sublime, et n’exhortait personne à nourrir le pauvre’’ […] Cela te suffit comme exhortation.
Nous prions Dieu de t’accorder réussite, droiture, guidance et rectitude. Il est celui qui en a la charge et le pouvoir ! Que Dieu bénisse et sauve notre maître Muhammad, sa Famille et ses Compagnons ! »
Comme nous pouvons le constater ici, Aḥmed Lô a créé cette doctrine qu’il a attribuée, sans avoir honte, au fondateur de la Tijāniyya. D’ailleurs, il y a quelques années, Cheikh Tijane Gaye, ayant repéré ce mensonge, avait répondu comme suit :
« Cher frère, relis la lettre et tu constateras que :
Il est impossible de mettre dans le même sac « C’est entre les deux extrêmes que se situe le degré que tu occupes. Sache aussi que Dieu vous observe par le biais de ton cœur. Porte donc sur ces créatures, et sur les indigents et pauvres parmi elles, un regard de compassion, » et « pour toi, j’ai rendu licite tout ce qui était interdit tout en te garantissant le salut éternel », comme l’a inventé le perturbateur ;
Il a supprimé de manière volontaire les passages suivants : ‘‘Il accorde à qui Il veut parmi ses créatures’’ ; et « Il en a fait un flux qui provient de l’océan de Sa générosité et de Sa noblesse. Flux qui ne s’interrompt pas pour une quelconque raison selon Sa Volonté particulière’’ ;
Il a coupé la lettre de manière honteuse à son introduction qui se termine par la phrase ‘‘aucune peine ou affliction ne s’y mêlant’’. Pourtant, le fond du texte commence à partir de ‘‘quant à ce à quoi je voudrais vous exhorter, c’est que vous devez être un peu plus attentif à ce que notre Seigneur a dit dans Son livre….’’ ;
La lettre ne contient la moindre allusion à l’idée selon laquelle ce cercle (al-dā’ira) serait exclusivement tijānie au point d’autoriser les adeptes de la Tijāniyya à commettre tous les interdits religieux.
Mais nous savons que Monsieur est malin comme menteur. Il a réuni toutes ses forces pour inventer une Dā’ira faḍliyya qui, tantôt, autoriserait les adeptes de la Tijāniyya de commettre les interdits, tantôt cette permission sera uniquement pour l’élite de la confrérie […]. Il a fait tout cela en se basant uniquement sur sa mauvaise foi et sur ce qu’il copie de son maître, Maïgarī le maudit, celui dont il prend les abominations intellectuelles pour une révélation céleste. [3]»
Pour conclure ce premier numéro d’une série qui battra en brèche tous les mensonges de ces salafistes qui menacent notre pays, je redonne la parole à Cheikh Tijane Gaye : « Je dis : ceci est un pur mensonge. Où est le mot qui laisse entendre, ne serait-ce que de manière allusive, que ce qui est interdit par Dieu aurait été rendu licite pour les adeptes de la Tijāniyya ? [4]»
Seigneur, sois témoin !
Seydi Diamil Niane
[1] Aḥmed Lô, Taqdīs al-’ašḫāṣ fī-l-fikr al-ṣūfī, vol.I, p.422.
[2]Ibid., p.423.
[3] Cheikh Tijāne Gaye, Kitāb al-taqdīs bayn al-talbīs wa-l-tadlīs wa-l-tadnīs, pp.181-183.
[4] Cheikh Tijāne Gaye, Kitāb al-taqdīs bayn al-talbīs wa-l-tadlīs wa-l-tadnīs, op.cit., p.176.
Posté le 1 septembre 2016 - par Seydi Diamil
Réponse d’un ex-colonisé à François Fillon/ Seydi Diamil Niane
Je suis un ex-colonisé et croyais que l’époque, où Aimé Césaire tenait les propos suivants, était révolue : « J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées ».
Mais hélas, il ne fallait pas compter sur François Fillon.
On savait que les musulmans allaient souffrir des campagnes présidentielles. Mais je ne pensais pas que le populisme de la droite, qui passe son temps à draguer les électeurs du FN, pouvait mener en 2016, après la déclaration affligeante de l’inculte Sarkozy, selon lequel « l’Afrique n’est pas assez entrée dans l’Histoire », à un autre négationnisme lorsqu’il s’agit d’aborder la question coloniale.
Le 28 aout 2016, à Sablé-sur-Sarthe, sous les applaudissements de son public, Fillon s’est écrié : « Non, La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord ! ». Son programme ? Une fois élu président, l’ex-Premier ministre de la Sarkozie veut réécrire une autre histoire de la France qui sera enseignée à l’école. Un récit national inventé au détriment de toute vérité historique, pour tout dire.
Je ne parlerai ni d’Asie, ni d’Amérique du Nord. Mon incompétence en la matière ne me le permet pas. Je resterai donc sur la question africaine que je connais mieux.
Si la France n’a pas à avoir honte de son passé colonial (qui est en soi indéfendable tout comme l’esclavagisme, qu’il soit arabe, européen ou entre Africains), c’est parce que Fillon a une explication : « La France », dit-il, « c’est 15 siècles d’histoire depuis le baptême de Clovis », le 25 décembre 498. Faut-il lui rappeler que la création de l’Empire de Ghana remonte, au plus tard, à l’an 300 et que cet empire continuera à sillonner jusqu’en 1240 ? Et pour le bonheur des racistes, rappelons que Charlemagne ne sera couronné par le pape Léon III qu’en 800.
Par conséquent, lorsque les lumières de l’Afrique rayonnaient, j’en connais quelques-uns qui étaient plongés dans les ténèbres de la barbarie. Je ne parlerai même pas de l’Égypte antique, berceau de toutes les civilisations, où « la chaleur », affirmait Hérodote, « y rend les hommes noirs [1] ». Je dis ça et je ne dis rien.
L’Afrique n’est pas uniquement une vielle civilisation des cieux de laquelle pleuvait une culture séduisante. Ma terre natale a aussi connu une richesse extraordinaire. Vers 903, Ibn al-Faqih (un auteur arabe) nous disait que « Dans le pays de Ghana, l’or croît dans les sables, comme des carottes ; on les récolte au lever du soleil.[2] ». Au quatorzième siècle, Ibn Batouta, après avoir visité Gao (l’empire du Mali), nous a laissé la description d’une mosquée construite sur l’ordre de Kankan Moussa. Es-Sahili, le constructeur de la mosquée, ayant reçu une rémunération de 4 000 mithqal (soit 180 kilos d’or). Voilà l’Afrique avant l’entreprise coloniale.
Pour Fillon, l’objet de la colonisation était le partage de la culture française. Nous avons affaire à la vielle théorie de la mission civilisatrice. « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation». Ces propos ont été tenus par Jules Ferry le 28 juillet 1885. C’est uniquement ce sentiment de supériorité qui a légitimé la colonisation.
Ernest Renan, un raciste que tout le monde prend pour humaniste, nous donne les clés pour mieux aborder la problématique de la colonisation : « Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours chez nous un noble déclassé; sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état. Regere imperio populos, voilà notre vocation. Versez cette dévorante activité sur des pays qui, comme la Chine, appellent la conquête étrangère. Des aventuriers qui troublent la société européenne faites un ver sacrum, un essaim comme ceux des Francs, des Lombards, des Normands ; chacun sera dans son rôle. La nature a fait une race d’ouvriers; c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur; gouvernez-la avec justice, en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre; soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Réduisez cette noble race à travailler dans l’ergastule comme des nègres et des Chinois, elle se révolte. Tout révolté est chez nous, plus ou moins, un soldat qui a manqué sa vocation, un être fait pour la vie héroïque, et que vous appliquez à une besogne contraire à sa race, mauvais ouvrier, trop bon soldat. Or la vie qui révolte nos travailleurs rendrait heureux un Chinois, un fellah, êtres qui ne sont nullement militaires. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien [1] ».
Le seul motif de la colonisation est ce sentiment de supériorité qui sera animé par une autre logique dont parle Renan, tout de suite après ses propos racistes que nous venons de transcrire : « Les économistes se trompent en considérant le travail comme l’origine de la propriété. L’origine de la propriété, c’est la conquête et la garantie donnée par le conquérant aux fruits du travail autour de lui». Et puisque la conquête est à l’origine de la propriété, quoi de plus anormal que l’Afrique soit sous-développée après l’entreprise coloniale ?
Jean-Paul Sartre dénonçait déjà cette exploitation : « Vous savez très bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que nous avons pris l’or et les métaux puis le pétrole des « continents neufs » et que nous les avons ramenés dans des vielles métropoles. Non sans d’excellents résultats : des palais, des cathédrales, des capitales industrielles ; et puis quand la crise menaçait, les marchés coloniaux étaient là pour l’amortir ou la détourner. L’Europe, gavée de richesses, accorda de jure l’humanité à tous ses habitants : un homme, chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de l’exploitation coloniale [1] ».
Dans cette conquête coloniale, qui n’a rien à voir avec une volonté de partager une culture, tous les moyens étaient bons. S’il faut déshumaniser les indigènes, il ne faut pas hésiter. « Du moment que nous avons admis cette grande violence qu’est la conquête, je crois que nous ne devons pas reculer devant des violences de détail qui sont absolument nécessaires pour la consolider. » Ces propos ne sont pas sortis de la bouche d’Hitler mais de celle de Tocqueville [2] !
Les « violences de détail » dont parle Tocqueville ne sont rien d’autre que des massacres comme Sétif, le bombardement de Haiphong en décembre 1946, les massacres en Côte d’Ivoire entre 1949 et 1950 ou l’assassinat des Tirailleurs Sénégalais à Thiaroye, en 1944. C’est justement dans le cadre de ces « violences de détail » que le colonel de Montagne qui fut un des conquérants de l’Algérie a avoué la chose suivante : « Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes[3] ». Un autre détail était dénoncé par Jean-Paul Sartre en 1961 : « Où sont les sauvages, à présent ? Où est la barbarie ? Rien ne manque, pas même le tam-tam : les klaxons rythment « Algérie française » pendant que les Européens font brûler vifs des Musulmans.[4] ». Quelle charmante façon de partager la culture française !
Toute l’humanité retient de Fanon sa fameuse phrase : « quand on parle mal des juifs, dressez l’oreille parce qu’on parle de vous […] un antisémite est forcément négrophobe ». Tout le monde atteste de l’humanisme de cet homme et de son ouverture. Et si l’unique objectif de la colonisation était le partage de culture, il n’aurait jamais crié « Africains, Africaines, aux armes ! Mort au colonialisme français ! [5]».
En ce qui me concerne, ma plume est mon arme. Mon encre coulera autant que nécessaire pour dénoncer ce genre de crétins de négationnistes. Ce n’est que le début, puisque la campagne ne fait que commencer. Et je dirai, pour paraphraser Fanon : « Hommes dignes, réveillez-vous ! Mort aux négationnistes ! ».
[1] Voir la préface de Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte & Poche, 2002 (reéd.) p.32
[2] Yves Benot, Massacres coloniaux, La découverte, p. XI
[3] Cité par Aimé Césaire, op.cit., p.19.
[4] Ibid.,p.34.
[5] Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, La découverte, p.149.
[1] Ernest Renan, La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy Frères, 1875, p.93-94.
[1] Cité par Cheikh Anta Diop Nations nègres et cultures, Paris, Présence Africaine, 1979, p.35.
[2] Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Seuil, 1980, p.81.
Posté le 8 août 2016 - par Seydi Diamil
Seigneur, pardonne à la France blanche / Seydi Diamil Niane
Parfois, je me demande ce que j’ai fait pour mériter tout cet acharnement. Qu’ai-je fait pour que cette France, sous prétexte d’une mission soi-disant civilisatrice, ait déshumanisé mes pères et humilié mes frères pendant des siècles ? Pourtant, je ne suis pas tombé dans une paranoïa francophobe malgré ma longue histoire avec elle. Parce que oui : bien qu’elle soit indéfendable, bien qu’il m’arrive beaucoup de fois de lui en vouloir et d’avoir la tentation de la maudire, cette France fait partie de mon histoire. Même si, je me dois de l’avouer, mon passé avec elle n’est pas encore entièrement digéré !
Lorsque je dis que je n’ai rien à voir avec les assassins de ses enfants, elle me traite de complicité. Et quand je m’exprime, elle me taxe d’hypocrisie. Lorsque je tente d’expliquer, elle me réplique « qu’expliquer, c’est déjà vouloir excuser. »
Cette France m’a arraché mes ancêtres et n’est pourtant pas contente. Puis je lui ai laissé occuper mes terres. Actuellement, une bonne partie de mon patrimoine se trouve dans ses musés, aussi m’a-t-elle volé mon passé. Et elle n’est toujours pas satisfaite. Je milite quotidiennement pour sa cohésion nationale et pour ne pas l’abandonner aux assassins de l’aube. Mais la France est toujours insatisfaite. Je lui dis que ma religion n’est en rien une menace pour elle. Pourtant, elle me demande de la réformer comme si elle ne savait pas que la religion n’est pas qu’une question de pratiques ; qu’elle est aussi une question de foi et que la foi ne se réforme pas. Quand je lui explique tout ça, cette France reste sourde.
Je lui ai montré ma carte d’identité, lui ai fait part de mon parcours, de mon amour et mes engagements, mais elle me dit qu’elle « est judéo-chrétienne et de race blanche. »Aussi éternise-t-elle en moi un sentiment de culpabilité. Je lui ai tendu une main. Quant à elle, elle me parle d’assimilation comme si elle ignorait que mon africanité et ma sénégaléité n’étaient pas négociables, et que je mourrais libre au-lieu de renoncer à la culture qui m’a été amoureusement transmise par mon père et ma mère.
Elle veut limiter l’immigration sans se soucier des causes même de l’émigration. Elle dénonce l’émigration économique et me prend pour traitre quand je dénonce son colonialisme monétaire qui empêche le développement d’une bonne partie de l’Afrique. Je lui ai dit que quatorze pays africains utilisent encore le Franc CFA que leur avait imposé le pouvoir colonialiste[1]. Je lui ai dit que ces 14 pays sont obligés par elle , à travers le pacte colonial , de mettre 50% de leur réserve à la banque centrale de France sous le contrôle du ministère des finances français[2]. Quand je lui rappelle que cela fait des millions, voire des milliards d’euros qui ne lui appartiennent pas, elle crie au blasphème.
Pour me réconforter, je vais prier pour cette France. Seigneur pardonne à la France blanche. Ou comme le disait un des poètes de la négritude, « Seigneur, Dieu, pardonne à l’Europe blanche. »
Oui, cette Europe et cette France ont besoin d’invocations… Quand cette même Europe qui a déshumanisé mes pères, et cette même France qui a humilié mes ancêtres et empêchent le développement de ma terre natale essayent de faire naître chez moi un sentiment de culpabilité à cause de ceux qui tuent au nom de ma religion, je ne peux que m’associer à Senghor pour leur adresser mes prières.
«… Seigneur Dieu, pardonne à l’Europe blanche !
Et il est vrai, Seigneur, que pendant quatre siècles de lumières elle a jeté la bave et les abois de ses molosses sur mes terres
Et les chrétiens, abjurant Ta lumière et la mansuétude de Ton cœur
Ont éclairé leurs bivouacs avec mes parchemins, torturé mes talibés, déporté mes docteurs et mes maîtres-de-science.…/…
Seigneur, pardonne à ceux qui ont fait des Askia des maquisards, de mes princes des adjudants
De mes domestiques des boys et de mes paysans des salariés, de mon peuple un peuple de prolétaires.
Car il faut bien que Tu pardonnes ceux qui ont donné la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages.
Et ils les ont dressés à coups de chicotte, et ils ont fait d’eux les mains noires de ceux dont les mains étaient blanches.
Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires
Qui en ont supprimé deux cents millions.
Et ils m’ont fait une vieillesse solitaire parmi la forêt de mes nuits et la savane de mes jours.
Seigneur la glace de mes yeux s’embue
Et voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon cœur, ce serpent que j’avais cru mort…
Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
Oh ! je sais bien qu’elle aussi est l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des bœufs, pour engraisser ses terres à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.…/…
Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié.
Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement
Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire
Qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires
Et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc.
Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France
Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine — mais je peux bien haïr le Mal.
Car j’ai une grande faiblesse pour la France.
Bénis ce peuple garrotté qui par deux fois sut libérer ses mains et osa proclamer l’avènement des pauvres à la royauté
Qui fit des esclaves du jour des hommes libres égaux fraternels
Bénis ce peuple qui m’a apporté Ta Bonne Nouvelle, Seigneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de la foi.…/…
Je sais que nombre de Tes missionnaires ont béni les armes de la violence et pactisé avec l’or des banquiers
Mais il faut qu’il y ait des traîtres et des imbéciles… »
Cette France blanche, tu la connais. « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère »
[1] Franc CFA voulait dire franc des colonies françaises d’Afrique. Entre 1958 et la décolonisation, il est devenu Franc des communautés françaises d’Afrique. Actuellement, il signifie le Franc de la communauté financière africaine.
Posté le 3 août 2016 - par Seydi Diamil
Le monde musulman a besoin d’un Voltaire/ Seydi Diamil Niane
C’est dans ces circonstances où des hommes prétendent pénétrer le désir politique de Dieu et massacrent des êtres humains à causes des paragraphes, qu’on n’a besoin d’un Voltaire musulman pour produire un nouveau Traité sur la Tolérance. Ce traité sur la tolérance aura pour seul but la réhabilitation de l’homme, vicaire de Dieu sur terre et réceptacle du souffle divin.
Le monde musulman a besoin d’un Voltaire pour réhabiliter la raison et mettre l’homme au centre même de nos préoccupations ; un Voltaire qui dira, sans aucune peur de se faire excommunier, qu’un dieu qui a besoin de massacrer sa créature pour exister est un dieu faible. Ce Voltaire expliquera aux fanatiques que l’Omnipotent pour Lequel des millions de musulmans se prosternent matins et soirs n’est pas ce dieu pervers auquel ils font allégeance. Il leur dira : « ne cherchez point à gêner les cœurs, et tous les cœurs seront à vous.[1] » Il leur dira, plus la religion musulmane est divine, « moins il appartient à l’homme de la commander ; si Dieu l’a faite, Dieu la soutiendra sans vous.[2] » Ce Voltaire leur murmurera que « Si la persécution contre ceux avec qui nous disputons était une action sainte, il faut avouer que celui qui aura tué le plus d’hérétiques serait le plus grand saint du Paradis. [3]» Il leur rappellera aussi que « la religion est instituée pour nous rendre heureux dans cette vie et dans l’autre.[4] »
Je rêve de ce Voltaire qui expliquera à mes coreligionnaires que nul n’est pire que celui qui pense adorer Dieu en allant à l’encontre de Sa Volonté. « Point de contrainte en matière de religion », dit le Coran. Toute tentative d’imposer la foi par la force est une hérésie. Ce Voltaire leur récitera le verset suivant : « Si Allah avait voulu, Il aurait certes fait de vous une seule communauté. Mais Il laisse s’égarer qui Il veut et guide qui Il veut. Et vous serez certes, interrogés sur ce que vous faisiez. » Il leur rappellera cet autre verset : « Tu (Muhammad) ne guides pas celui que tu aimes : mais c’est Allah qui guide qui Il veut.» Ou encore « Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables. »
Ce Voltaire aurait rappelé à mes coreligionnaires qu’il y a certes des versets qui légitiment la violence. Mais dans une seule et unique situation : lorsque nous sommes attaqués. Pour preuve, il leur aurait cité le verset suivant : « Combattez dans le sentier d’Allahceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes, Allah n’aime pas les transgresseurs! Et tuez-les, où que vous les rencontriez; et chassez-les d’où ils vous ont chassés: la corruption est plus grave que le meurtre. Mais ne les combattez pas près de la Mosquée sacrée avant qu’ils ne vous y aient combattus. S’ils vous y combattent, tuez-les donc. Telle est la rétribution des mécréants. S’ils cessent, Allah est, certes, Pardonneur et Miséricordieux. » Il leur dira que le verset débute par « Combattez dans le sentier d’Allahceux qui vous combattent » et que toute transgression est prohibée. Il leur dira, conformément au texte coranique, mais aussi au droit international, que la légitime défense est un droit fondamental. Mais il aura l’audace de dire à mes coreligionnaires que dans une démocratie seule l’État a le monopole de la violence.
Ce Voltaire dira à tous les Michel Onfray qui s’autoproclament spécialistes de l’islam, qu’on ne peut pas prendre des versets, les sortir de leurs contextes et sans les lire dans la globalité du message coranique. À peu près, le Coran compte 6300 versets dont environs 200 normatifs. Parmi ces 200 versets, certains parlent des transactions humaines, d’autres du statut personnel et quelques-uns, de la violence. Mais il serait malhonnête, leur dira Voltaire, d’extraire la partie « violente » des versets normatifs de l’ensemble des 6300 versets du Coran. Il leur montrera qu’il faut une approche holistique du Coran pour ne pas tomber dans des dérives extrémistes ou dans la bassesse intellectuelle.
Il dira aussi à mes coreligionnaires que le Coran n’est pas un code juridique; qu’on ne peut pas appliquer une loi prétendue céleste sur les enfants de la terre qui ne se réfèrent pas au même Dieu et ne se dirigent pas vers la même qibla.
Ce Voltaire œuvrera pour une lecture plus humaniste des textes. Pour ce faire, il leur citera le verset suivant : « Lorsque Je l’aurai façonné et que J’y aurai insufflé de Mon esprit, alors prosternez-vous devant lui. » Ce verset coranique parlait d’Adam et s’adressait aux anges. Par conséquent, chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’esprit de Dieu. Il leur dira que rien ne peut justifier le mépris d’un réceptacle contant une parcelle de l’esprit divin.
Je rêve de ce Voltaire parce qu’il serait faut de dire que la violence perpétuée quotidiennement au nom de l’islam n’a rien à voir avec une certaine conception de la religion de Muhammad (PSL). Dans une de ses lettres, Ibn ‘Abd al-Wahhab, le fondateur du wahhabisme, ne disait-il pas que « celui qui ne répond pas à la prédication par la preuve, nous le faisons plier par l’épée ?[5] » Mais prudence, le wahhabisme ne représente pas l’islam. Cependant, il en fait partie.
Je rêve de ce Voltaire qui criera partout où il y a une tentative d’asservissement de l’homme par l’homme au non de Dieu que « le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes.[6] »
Le Voltaire islamique chantera partout les poèmes d’amour d’Ibn ‘Arabī pour répondre à la haine de ceux qui tuent au nom du Dieu que priait ce même Ibn ‘Arabī. Il répondra aux prophètes du malheur par la poésie :
« Mon cœur est devenu capable de prendre toutes les formes
Il est un pâturage pour les gazelles,
un couvent pour les moines,
un temple pour les idoles,
la Kaaba pour le pèlerin.
Il est les tables de la Torah et le Livre du Coran.
Je professe la religion de l’Amour
où que se dirigent ses caravanes.
Car l’Amour est ma religion et ma foi »
Quant à moi, je m’associe à Amadou Hampaté Bâ et fais l’appel suivant : « Mes frères et sœurs, apprenons à nous aimer mutuellement et à nous entraider constamment, afin que l’Amour nous mette sur le chemin de la Charité qui mène à la Vérité.[7]»
[1] Voltaire, Traité sur la Tolérance, Gallimard, 2016, p.32.
[2]Ibid., p.65.
[3]Ibid., p.69.
[4]Ibid., p.108.
[5] Hamadi Redissi, Le pacte de Nadjd : Ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Paris Seuil, 2007, p.94 ; pour plus de précision sur le lien étroit entre le Wahhabisme et le terrorisme je renvoie à la thèse doctorale de Abdoul Aziz Gaye, Le wahhabisme belliqueux dans le texte. De l’influence d’Ibn Taymiyya à sa fondation dans le premier État sa‘udien, sa consolidation dans les États successifs et son adoption contemporaine par le mouvement d’al-Qâ‘ida, sous la direction de Charles GENEQUAND et Maroun AOUAD.
[6] Voltaire, op.cit., p.41.
[7] Amadou Hampâté Bà, Jésus vu par un musulman, Stock, 2000 (reéd), p.59.